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Actes de l'oeuvre
L'École des femmes :

¤Acte 1
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
¤Acte 2
¤Acte 3
¤Acte 4
¤Acte 5
 
 

 

L'École des femmes » Acte 1 » SCÈNE PREMIÈRE

CHRYSALDE, ARNOLPHE.


CHRYSALDE
Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main?

ARNOLPHE
Oui, je veux terminer la chose dans demain.

CHRYSALDE
Nous sommes ici seuls, et l'on peut, ce me semble,
Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble.
5 Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur?
Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur;
Et de quelque façon que vous tourniez l'affaire,
Prendre femme, est à vous un coup bien téméraire.

ARNOLPHE
Il est vrai, notre ami. Peut-être que chez vous
10 Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous;
Et votre front, je crois, veut que du mariage,
Les cornes soient partout l'infaillible apanage.

CHRYSALDE
Ce sont coups du hasard, dont on n'est point garant;
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend.
15 Mais quand je crains pour vous, c'est cette raillerie
Dont cent pauvres maris ont souffert la furie:
Car enfin vous savez, qu'il n'est grands, ni petits,
Que de votre critique on ait vus garantis;
Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes,
20 De faire cent éclats des intrigues secrètes...

ARNOLPHE
Fort bien: est-il au monde une autre ville aussi,
Où l'on ait des maris si patients qu'ici?
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces?
25 L'un amasse du bien, dont sa femme fait part
À ceux qui prennent soin de le faire cornard.
L'autre un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,
Voit faire tous les jours des présents à sa femme,
Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu,
30 Parce qu'elle lui dit que c'est pour sa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit, qui ne lui sert de guères;
L'autre, en toute douceur, laisse aller les affaires,
Et voyant arriver chez lui le damoiseau,
Prend fort honnêtement ses gants, et son manteau.
35 L'une de son galant, en adroite femelle,
Fait fausse confidence à son époux fidèle,
Qui dort en sûreté sur un pareil appas,
Et le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas.
L'autre, pour se purger de sa magnificence*,
40 Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense;
Et le mari benêt, sans songer à quel jeu,
Sur les gains qu'elle fait, rend des grâces à Dieu.
Enfin ce sont partout des sujets de satire,
Et comme spectateur, ne puis-je pas en rire?
Puis-je pas de nos sots*...?

CHRYSALDE
45 Oui, mais qui rit d'autrui,
Doit craindre, qu'en revanche, on rie aussi de lui.
J'entends parler le monde, et des gens se délassent
À venir débiter les choses qui se passent:
Mais quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis,
50 Jamais on ne m'a vu triompher* de ces bruits;
J'y suis assez modeste; et bien qu'aux occurrences
Je puisse condamner certaines tolérances;
Que mon dessein ne soit de souffrir nullement,
Ce que quelques maris souffrent paisiblement,
55 Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire;
Car enfin il faut craindre un revers de satire,
Et l'on ne doit jamais jurer, sur de tels cas,
De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.
Ainsi quand à mon front, par un sort qui tout mène,
60 Il serait arrivé quelque disgrâce humaine,
Après mon procédé, je suis presque certain,
Qu'on se contentera de s'en rire sous main;
Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage,
Que quelques bonnes gens diront, que c'est dommage!
65 Mais de vous, cher compère, il en est autrement;
Je vous le dis encor, vous risquez diablement.
Comme sur les maris accusés de souffrance*,
De tout temps votre langue a daubé d'importance,
Qu'on vous a vu contre eux un diable déchaîné;
70 Vous devez marcher droit, pour n'être point berné,
Et s'il faut que sur vous on ait la moindre prise,
Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise,
Et...

ARNOLPHE
Mon Dieu, notre ami, ne vous tourmentez point;
Bien huppé qui pourra m'attraper sur ce point*;
75 Je sais les tours rusés, et les subtiles trames,
Dont pour nous en planter savent user les femmes,
Et comme on est dupé par leurs dextérités;
Contre cet accident j'ai pris mes sûretés,
Et celle que j'épouse, a toute l'innocence
80 Qui peut sauver mon front de maligne influence.

CHRYSALDE
Et que prétendez-vous qu'une sotte en un mot...

ARNOLPHE
Épouser une sotte, est pour n'être point sot:
Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage;
Mais une femme habile est un mauvais présage,
85 Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens,
Pour avoir pris les leurs avec trop de talents.
Moi j'irais me charger d'une spirituelle,
Qui ne parlerait rien que cercle, et que ruelle?
Qui de prose, et de vers, ferait de doux écrits,
90 Et que visiteraient marquis, et beaux esprits,
Tandis que, sous le nom du mari de Madame,
Je serais comme un saint, que pas un ne réclame*?
Non, non, je ne veux point d'un esprit qui soit haut,
Et femme qui compose, en sait plus qu'il ne faut.
95 Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime,
Même ne sache pas ce que c'est qu'une rime;
Et s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon*,
Et qu'on vienne à lui dire, à son tour: "Qu'y met-on*?"
Je veux qu'elle réponde, "Une tarte à la crème";
100 En un mot, qu'elle soit d'une ignorance extrême;
Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre, et filer.

CHRYSALDE
Une femme stupide est donc votre marotte*?

ARNOLPHE
Tant, que j'aimerais mieux une laide, bien sotte,
105 Qu'une femme fort belle, avec beaucoup d'esprit.

CHRYSALDE
L'esprit, et la beauté...

ARNOLPHE
L'honnêteté suffit.

CHRYSALDE
Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une bête
Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête?
Outre qu'il est assez ennuyeux, que je croi,
110 D'avoir toute sa vie une bête avec soi,
Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée
La sûreté d'un front puisse être bien fondée?
Une femme d'esprit peut trahir son devoir;
Mais il faut, pour le moins, qu'elle ose le vouloir;
115 Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire,
Sans en avoir l'envie, et sans penser le faire.

ARNOLPHE
À ce bel argument, à ce discours profond*,
Ce que Pantagruel à Panurge répond.
Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte;
120 Prêchez, patrocinez jusqu'à la Pentecôte,
Vous serez ébahi, quand vous serez au bout,
Que vous ne m'aurez rien persuadé du tout*.

CHRYSALDE
Je ne vous dis plus mot.

ARNOLPHE
Chacun a sa méthode.
En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode;
125 Je me vois riche assez, pour pouvoir, que je croi,
Choisir une moitié, qui tienne tout de moi,
Et de qui la soumise, et pleine dépendance,
N'ait à me reprocher aucun bien, ni naissance.
Un air doux, et posé, parmi d'autres enfans,
130 M'inspira de l'amour pour elle, dès quatre ans:
Sa mère se trouvant de pauvreté pressée,
De la lui demander il me vint la pensée*,
Et la bonne paysanne, apprenant mon désir,
À s'ôter cette charge eut beaucoup de plaisir.
135 Dans un petit couvent, loin de toute pratique*,
Je la fis élever, selon ma politique,
C'est-à-dire ordonnant quels soins on emploirait,
Pour la rendre idiote* autant qu'il se pourrait.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente,
140 Et grande, je l'ai vue à tel point innocente,
Que j'ai béni le Ciel d'avoir trouvé mon fait,
Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
Je l'ai donc retirée; et comme ma demeure
À cent sortes de monde est ouverte à toute heure,
145 Je l'ai mise à l'écart, comme il faut tout prévoir,
Dans cette autre maison, où nul ne me vient voir;
Et pour ne point gâter sa bonté naturelle,
Je n'y tiens que des gens tout aussi simples qu'elle.
Vous me direz "pourquoi cette narration?"
150 C'est pour vous rendre instruit de ma précaution.
Le résultat de tout, est qu'en ami fidèle,
Ce soir, je vous invite à souper avec elle:
Je veux que vous puissiez un peu l'examiner,
Et voir, si de mon choix on me doit condamner*.

CHRYSALDE
J'y consens.

ARNOLPHE
155 Vous pourrez dans cette conférence,
Juger de sa personne, et de son innocence.

CHRYSALDE
Pour cet article-là, ce que vous m'avez dit,
Ne peut...

ARNOLPHE
La vérité passe encor mon récit.
Dans ses simplicités à tous coups je l'admire,
160 Et parfois elle en dit, dont je pâme de rire.
L'autre jour (pourrait-on se le persuader)
Elle était fort en peine, et me vint demander,
Avec une innocence à nulle autre pareille,
Si les enfants qu'on fait, se faisaient par l'oreille*.

CHRYSALDE
Je me réjouis fort, Seigneur Arnolphe...

ARNOLPHE
165 Bon;
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?

CHRYSALDE
Ah! malgré que j'en aie, il me vient à la bouche,
Et jamais je ne songe à Monsieur de la Souche.
Qui diable vous a fait aussi vous aviser,
170 À quarante et deux ans de vous débaptiser*,
Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie,
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie?

ARNOLPHE
Outre que la maison par ce nom se connaît,
La Souche, plus qu'Arnolphe, à mes oreilles plaît*.

CHRYSALDE
175 Quel abus, de quitter le vrai nom de ses pères,
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères!
De la plupart des gens c'est la démangeaison;
Et sans vous embrasser dans la comparaison,
Je sais un paysan, qu'on appelait Gros-Pierre,
180 Qui n'ayant, pour tout bien, qu'un seul quartier de terre,
Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux,
Et de Monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux*.

ARNOLPHE
Vous pourriez vous passer d'exemples de la sorte:
Mais enfin de la Souche est le nom que je porte;
185 J'y vois de la raison, j'y trouve des appas,
Et m'appeler de l'autre, est ne m'obliger pas.

CHRYSALDE
Cependant la plupart ont peine à s'y soumettre,
Et je vois même encor des adresses de lettre...

ARNOLPHE
Je le souffre aisément de qui n'est pas instruit;
Mais vous...

CHRYSALDE
190 Soit. Là-dessus nous n'aurons point de bruit,
Et je prendrai le soin d'accoutumer ma bouche
À ne plus vous nommer que Monsieur de la Souche.

ARNOLPHE
Adieu; je frappe ici, pour donner le bonjour,
Et dire seulement, que je suis de retour.

CHRYSALDE, s'en allant.
195 Ma foi je le tiens fou de toutes les manières.

ARNOLPHE
Il est un peu blessé sur certaines matières.
Chose étrange de voir, comme avec passion,
Un chacun est chaussé de son opinion!
Holà!