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Actes de l'oeuvre
Les Precieuses ridicules :

¤Acte I
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
ºSCÈNE IX
ºSCÈNE X
ºSCÈNE XI
ºSCÈNE XII
ºSCÈNE XIII
ºSCÈNE XIV
ºSCÈNE XV
ºSCÈNE XVI
ºSCÈNE XVII
 
 

 

Les Precieuses ridicules » Acte I » SCÈNE IX

MAGDELON, CATHOS, MASCARILLE, ALMANZOR.

MASCARILLE, après avoir salué.- Mesdames, vous serez surprises, sans doute de l'audace de ma visite; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours, partout, après lui.

MAGDELON.- Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser.

CATHOS.- Pour voir chez nous le mérite, il a fallu, que vous l'y ayez amené.

MASCARILLE.- Ah je m'inscris en faux contre vos paroles. La renommée accuse juste, en contant ce que vous valez, et vous allez faire pic, repic et capot*, tout ce qu'il y a de galant dans Paris.

MAGDELON.- Votre complaisance pousse, un peu trop avant, la libéralité de ses louanges, et nous n'avons garde, ma cousine, et moi, de donner de notre sérieux, dans le doux de votre flatterie.

CATHOS.- Ma chère, il faudrait faire donner des sièges.

MAGDELON.- Holà, Almanzor.

ALMANZOR.- Madame.

MAGDELON.- Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation*.

MASCARILLE.- Mais au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi.

CATHOS.- Que craignez-vous?

MASCARILLE.- Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat de ma franchise*. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une âme de Turc à More. Comment diable, d'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière? Ah! par ma foi je m'en défie, et je m'en vais gagner au pied*, ou je veux caution bourgeoise, qu'ils ne me feront point de mal.

MAGDELON.- Ma chère, c'est le caractère enjoué.

CATHOS.- Je vois bien que c'est un Amilcar*.

MAGDELON.- Ne craignez rien, nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre cœur peut dormir en assurance sur leur prud'homie*.

CATHOS.- Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure, contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser.

MASCARILLE, après s'être peigné et avoir ajusté ses canons.- Eh bien, Mesdames, que dites-vous de Paris?

MAGDELON.- Hélas! qu'en pourrions-nous dire? Il faudrait être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles*, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie.

MASCARILLE.- Pour moi, je tiens que hors de Paris, il n'y a point de salut pour les honnêtes gens.

CATHOS.- C'est une vérité incontestable.

MASCARILLE.- Il y fait un peu crotté, mais nous avons la chaise.

MAGDELON.- Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue, et du mauvais temps.

MASCARILLE.- Vous recevez beaucoup de visites? quel bel esprit est des vôtres?

MAGDELON.- Hélas nous ne sommes pas encore connues; mais nous sommes en passe de l'être, et nous avons une amie particulière, qui nous a promis d'amener ici tous ces messieurs du Recueil des Pièces Choisies*.

CATHOS.- Et certains autres, qu'on nous a nommés aussi, pour être les arbitres souverains des belles choses.

MASCARILLE.- C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne; ils me rendent tous visite, et je puis dire que je ne me lève jamais, sans une demi-douzaine de beaux esprits.

MAGDELON.- Eh! mon Dieu, nous vous serons obligées de la dernière obligation; si vous nous faites cette amitié: car enfin il faut avoir la connaissance de tous ces Messieurs-là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont eux qui donnent le branle* à la réputation dans Paris; et vous savez qu'il y en a tel, dont il ne faut que la seule fréquentation, pour vous donner bruit de connaisseuse, quand il n'y aurait rien autre chose que cela. Mais pour moi ce que je considère particulièrement, c'est que par le moyen de ces visites spirituelles*, on est instruite de cent choses, qu'il faut savoir de nécessité, et qui sont de l'essence d'un bel esprit*. On apprend par là, chaque jour, les petites nouvelles galantes, les jolis commerces de prose, et de vers. On sait à point nommé, " Un tel a composé la plus jolie pièce du monde, sur un tel sujet; une telle a fait des paroles sur un tel air; celui-ci a fait un madrigal sur une jouissance; celui-là a composé des stances sur une infidélité; Monsieur un tel écrivit hier au soir un sixain à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures; un tel auteur a fait un tel dessein; celui-là en est à la troisième partie de son roman; cet autre met ses ouvrages sous la presse*": c'est là ce qui vous fait valoir dans les compagnies; et si l'on ignore ces choses, je ne donnerais pas un clou de tout l'esprit qu'on peut avoir.

CATHOS.- En effet je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit, et ne sache pas jusqu'au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour; et pour moi j'aurais toutes les hontes du monde, s'il fallait qu'on vînt à me demander, si j'aurais vu quelque chose de nouveau, que je n'aurais pas vu.

MASCARILLE.- Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait; mais ne vous mettez pas en peine, je veux établir chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux, et vous verrez courir de ma façon dans les belles ruelles* de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes, et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits.

MAGDELON.- Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits; je ne vois rien de si galant que cela.

MASCARILLE.- Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond. Vous en verrez de ma manière, qui ne vous déplairont pas.

CATHOS.- Pour moi j'aime terriblement les énigmes.

MASCARILLE.- Cela exerce l'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner.

MAGDELON.- Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés.

MASCARILLE.- C'est mon talent particulier, et je travaille à mettre en madrigaux toute l'histoire romaine.

MAGDELON.- Ah! certes, cela sera du dernier beau, j'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer.

MASCARILLE.- Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition; mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires, qui me persécutent.

MAGDELON.- Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé.

MASCARILLE.- Sans doute; mais à propos, il faut que je vous dise un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies, que je fus visiter; car je suis diablement fort sur les impromptus.

CATHOS.- L'impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit.

MASCARILLE.- Écoutez donc.

MAGDELON.- Nous y sommes de toutes nos oreilles.

MASCARILLE.-


Oh, oh, je n'y prenais pas garde,
Tandis que sans songer à mal, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur,
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur.

CATHOS.- Ah mon Dieu! voilà qui est poussé dans le dernier galant.

MASCARILLE.- Tout ce que je fais a l'air cavalier, cela ne sent point le pédant.

MAGDELON.- Il* en est éloigné de plus de deux mille lieues.

MASCARILLE.- Avez-vous remarqué ce commencement, oh, oh? Voilà qui est extraordinaire, oh, oh. Comme un homme qui s'avise tout d'un coup, oh, oh. La surprise, oh, oh.

MAGDELON.- Oui, je trouve ce oh, oh, admirable.

MASCARILLE.- Il semble que cela ne soit rien.

CATHOS.- Ah, mon Dieu, que dites-vous! Ce sont là de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer.

MAGDELON.- Sans doute, et j'aimerais mieux avoir fait ce oh, oh, qu'un poème épique.

MASCARILLE.- Tudieu, vous avez le goût bon.

MAGDELON.- Eh, je ne l'ai pas tout à fait mauvais.

MASCARILLE.- Mais n'admirez-vous pas aussi, je n'y prenais pas garde? Je n'y prenais pas garde, je ne m'apercevais pas de cela, façon de parler naturelle, je n'y prenais pas garde. Tandis que sans songer à mal, tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton, je vous regarde; c'est-à-dire je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple. Votre œil en tapinois... Que vous semble de ce mot, tapinois, n'est-il pas bien choisi?

CATHOS.- Tout à fait bien.

MASCARILLE.- Tapinois, en cachette, il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris. Tapinois.

MAGDELON.- Il ne se peut rien de mieux.

MASCARILLE.- Me dérobe mon cœur, me l'emporte, me le ravit. Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur. Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter, Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur.

MAGDELON.- Il faut avouer que cela a un tour spirituel, et galant.

MASCARILLE.- Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus.

CATHOS.- Vous avez appris la musique?

MASCARILLE.- Moi? point du tout.

CATHOS.- Et comment donc cela se peut-il?

MASCARILLE.- Les gens de qualité savent tout, sans avoir jamais rien appris.

MAGDELON.- Assurément, ma chère.

MASCARILLE.- Écoutez si vous trouverez l'air à votre goût: hem, hem. La, la, la, la, la. La brutalité de la saison a furieusement outragé la délicatesse de ma voix; mais il n'importe, c'est à la cavalière*.

(Il chante.)
Oh, oh, je n'y prenais pas...

CATHOS.- Ah que voilà un air qui est passionné! Est-ce qu'on n'en meurt point?

MAGDELON.- Il y a de la chromatique* là dedans.

MASCARILLE.- Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant? Au voleur... Et puis comme si l'on criait bien fort, au, au, au, au, au, au voleur; et tout d'un coup comme une personne essoufflée, au voleur.

MAGDELON.- C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure; je suis enthousiasmée de l'air, et des paroles.

CATHOS.- Je n'ai encore rien vu de cette force-là.

MASCARILLE.- Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude.

MAGDELON.- La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté.

MASCARILLE.- À quoi donc passez-vous le temps*?

CATHOS.- À rien du tout.

MAGDELON.- Nous avons été jusqu'ici, dans un jeûne effroyable de divertissements.

MASCARILLE.- Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vous voulez, aussi bien on en doit jouer une nouvelle, que je serai bien aise, que nous voyions ensemble.

MAGDELON.- Cela n'est pas de refus*.

MASCARILLE.- Mais je vous demande d'applaudir, comme il faut, quand nous serons là. Car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici, qu'à nous autres gens de condition, les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation, et je vous laisse à penser, si quand nous disons quelque chose le parterre ose nous contredire. Pour moi, j'y suis fort exact; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours: "Voilà qui est beau*", devant que les chandelles soient allumées.

MAGDELON.- Ne m'en parlez point, c'est un admirable lieu que Paris; il s'y passe cent choses tous les jours, qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être.

CATHOS.- C'est assez, puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira.

MASCARILLE.- Je ne sais si je me trompe; mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie.

MAGDELON.- Eh, il pourrait être quelque chose de ce que vous dites.

MASCARILLE.- Ah, ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.

CATHOS.- Hé, à quels comédiens la donnerez-vous?

MASCARILLE.- Belle demande! Aux grands comédiens*; il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses; les autres sont des ignorants, qui récitent comme l'on parle*; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au bel endroit; et le moyen de connaître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête et ne vous avertit par là, qu'il faut faire le brouhaha*?

CATHOS.- En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage, et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir.

MASCARILLE.- Que vous semble de ma petite-oie*? la trouvez-vous congruante à l'habit?

CATHOS.- Tout à fait.

MASCARILLE.- Le ruban est bien choisi.

MAGDELON.- Furieusement bien. C'est Perdrigeon* tout pur.

MASCARILLE.- Que dites-vous de mes canons*?

MAGDELON.- Ils ont tout à fait bon air.

MASCARILLE.- Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier plus que tous ceux qu'on fait.

MAGDELON.- Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élégance de l'ajustement.

MASCARILLE.- Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.

MAGDELON.- Ils sentent terriblement bon.

CATHOS.- Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.

MASCARILLE.- Et celle-là*?

MAGDELON.- Elle est tout à fait de qualité; le sublime* en est touché délicieusement.

MASCARILLE.- Vous ne me dites rien de mes plumes, comment les trouvez-vous?

CATHOS.- Effroyablement belles.

MASCARILLE.- Savez-vous que le brin me coûte un louis d'or? Pour moi j'ai cette manie, de vouloir donner généralement, sur tout ce qu'il y a de plus beau.

MAGDELON.- Je vous assure, que nous sympathisons vous et moi; j'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte; et jusqu'à mes chaussettes*, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière*.

MASCARILLE, s'écriant brusquement.- Ahi, ahi, ahi, doucement; Dieu me damne, Mesdames, c'est fort mal en user; j'ai à me plaindre de votre procédé; cela n'est pas honnête.

CATHOS.- Qu'est-ce donc? qu'avez-vous?

MASCARILLE.- Quoi? toutes deux contre mon cœur, en même temps? m'attaquer à droit et à gauche? Ah c'est contre le droit des gens, la partie n'est pas égale, et je m'en vais crier au meurtre.

CATHOS.- Il faut avouer qu'il dit les choses d'une manière particulière.

MAGDELON.- Il a un tour admirable dans l'esprit.

CATHOS.- Vous avez plus de peur que de mal, et votre cœur crie avant qu'on l'écorche.

MASCARILLE.- Comment diable! il est écorché depuis la tête jusqu'aux pieds.