Le Malade imaginaire » Acte 3 » SCÈNE V
MONSIEUR PURGON, ARGAN, BÉRALDE, TOINETTE.MONSIEUR PURGON.- Je viens d'apprendre là-bas à la porte de jolies nouvelles. Qu'on se moque ici de mes ordonnances, et qu'on a fait refus de prendre le remède que j'avais prescrit.ARGAN.- Monsieur, ce n'est pas...MONSIEUR PURGON.- Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rébellion d'un malade contre son médecin.TOINETTE.- Cela est épouvantable.MONSIEUR PURGON.- Un clystère que j'avais pris plaisir à composer moi-même.ARGAN.- Ce n'est pas moi...MONSIEUR PURGON.- Inventé, et formé dans toutes les règles de l'art.TOINETTE.- Il a tort.MONSIEUR PURGON.- Et qui devait faire dans des entrailles un effet merveilleux.ARGAN.- Mon frère?MONSIEUR PURGON.- Le renvoyer avec mépris!ARGAN.- C'est lui...MONSIEUR PURGON.- C'est une action exorbitante.TOINETTE.- Cela est vrai.MONSIEUR PURGON.- Un attentat énorme contre la médecine.ARGAN.- Il est cause...MONSIEUR PURGON.- Un crime de lèse-Faculté, qui ne se peut assez punir.TOINETTE.- Vous avez raison.MONSIEUR PURGON.- Je vous déclare que je romps commerce avec vous.ARGAN.- C'est mon frère...MONSIEUR PURGON.- Que je ne veux plus d'alliance avec vous.TOINETTE.- Vous ferez bien.MONSIEUR PURGON.- Et que pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisais à mon neveu en faveur du mariage.ARGAN.- C'est mon frère qui a fait tout le mal.MONSIEUR PURGON.- Mépriser mon clystère?ARGAN.- Faites-le venir, je m'en vais le prendre.MONSIEUR PURGON.- Je vous aurais tiré d'affaire avant qu'il fût peu.TOINETTE.- Il ne le mérite pas.MONSIEUR PURGON.- J'allais nettoyer votre corps, et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs.ARGAN.- Ah, mon frère!MONSIEUR PURGON.- Et je ne voulais plus qu'une douzaine de médecines, pour vider le fond du sac.TOINETTE.- Il est indigne de vos soins.MONSIEUR PURGON.- Mais puisque vous n'avez pas voulu guérir par mes mains...ARGAN.- Ce n'est pas ma faute.MONSIEUR PURGON.- Puisque vous vous êtes soustrait de l'obéissance que l'on doit à son médecin...TOINETTE.- Cela crie vengeance.MONSIEUR PURGON.- Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais...ARGAN.- Hé point du tout.MONSIEUR PURGON.- J'ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l'intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l'âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs.TOINETTE.- C'est fort bien fait.ARGAN.- Mon Dieu!MONSIEUR PURGON.- Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable.ARGAN.- Ah! miséricorde.MONSIEUR PURGON.- Que vous tombiez dans la bradypepsie.ARGAN.- Monsieur Purgon.MONSIEUR PURGON.- De la bradypepsie, dans la dyspepsie.ARGAN.- Monsieur Purgon.MONSIEUR PURGON.- De la dyspepsie, dans l'apepsie.ARGAN.- Monsieur Purgon.MONSIEUR PURGON.- De l'apepsie, dans la lienterie.ARGAN.- Monsieur Purgon.MONSIEUR PURGON.- De la lienterie, dans la dyssenterie.ARGAN.- Monsieur Purgon.MONSIEUR PURGON.- De la dyssenterie, dans l'hydropisie.ARGAN.- Monsieur Purgon.MONSIEUR PURGON.- Et de l'hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.
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