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Actes de l'oeuvre
Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
¤Acte 4
¤Acte 5
 
 

 

Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux » Acte 3 » SCÈNE II

DOM SYLVE, DONE ELVIRE, ÉLISE.


DOM SYLVE
Je sais que mon abord, Madame, est surprenant,
Et qu'être sans éclat entré dans cette ville,
825 Dont l'ordre d'un rival rend l'accès difficile;
Qu'avoir pu me soustraire aux yeux de ses soldats,
C'est un événement que vous n'attendiez pas.
Mais si j'ai dans ces lieux franchi quelques obstacles,
L'ardeur de vous revoir peut bien d'autres miracles,
830 Tout mon cœur a senti par de trop rudes coups
Le rigoureux destin d'être éloigné de vous;
Et je n'ai pu nier au tourment qui le tue,
Quelques moments secrets d'une si chère vue.
Je viens vous dire donc que je rends grâce aux Cieux,
835 De vous voir hors des mains d'un tyran odieux;
Mais parmi les douceurs d'une telle aventure,
Ce qui m'est un sujet d'éternelle torture,
C'est de voir qu'à mon bras les rigueurs de mon sort,
Ont envié l'honneur de cet illustre effort,
840 Et fait à mon rival, avec trop d'injustice,
Offrir les doux périls d'un si fameux service;
Oui, Madame, j'avais pour rompre vos liens
Des sentiments sans doute aussi beaux que les siens;
Et je pouvais pour vous gagner cette victoire,
845 Si le Ciel n'eût voulu m'en dérober la gloire.

DONE ELVIRE
Je sais, Seigneur, je sais, que vous avez un cœur,
Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur;
Et je ne doute point que ce généreux zèle,
Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle,
850 N'eût contre les efforts d'un indigne projet
Pu faire en ma faveur tout ce qu'un autre a fait.
Mais sans cette action, dont vous étiez capable,
Mon sort à la Castille est assez redevable;
On sait ce qu'en ami, plein d'ardeur et de foi,
855 Le Comte votre père a fait pour le feu Roi,
Après l'avoir aidé, jusqu'à l'heure dernière,
Il donne en ses États un asile à mon frère.
Quatre lustres entiers, il y cache son sort,
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort;
860 Et pour rendre à son front l'éclat d'une couronne,
Contre nos ravisseurs vous marchez en personne.
N'êtes-vous pas content, et ces soins généreux,
Ne m'attachent-ils point par d'assez puissants nœuds?
Quoi votre âme, Seigneur, serait-elle obstinée
865 À vouloir asservir toute ma destinée;
Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous
L'ombre d'un seul bienfait qu'il ne vienne de vous?
Ah! souffrez dans les maux, où mon destin m'expose,
Qu'aux soins d'un autre aussi, je doive quelque chose;
870 Et ne vous plaignez point de voir un autre bras,
Acquérir de la gloire, où le vôtre n'est pas.

DOM SYLVE
Oui, Madame, mon cœur doit cesser de s'en plaindre,
Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre,
Et c'est injustement qu'on se plaint d'un malheur,
875 Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur.
Ce secours d'un rival m'est un cruel martyre;
Mais, hélas! de mes maux, ce n'est pas là le pire,
Le coup, le rude coup, dont je suis atterré,
C'est de me voir par vous ce rival préféré.
880 Oui, je ne vois que trop, que ses feux pleins de gloire,
Sur les miens dans votre âme emportent la victoire;
Et cette occasion de servir vos appas,
Cet avantage offert de signaler son bras,
Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire,
885 N'est que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le secret pouvoir d'un astre merveilleux,
Qui fait tomber la gloire, où s'attachent vos vœux;
Ainsi tous mes efforts ne seront que fumée,
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée.
890 Mais je marche en tremblant à cet illustre emploi,
Assuré que vos vœux ne seront pas pour moi,
Et que s'ils sont suivis, la fortune prépare
L'heur des plus beaux succès aux soins de la Navarre.
Ah! Madame, faut-il me voir précipité
895 De l'espoir glorieux dont je m'étais flatté;
Et ne puis-je savoir quels crimes on m'impute,
Pour avoir mérité cette effroyable chute?

DONE ELVIRE
Ne me demandez rien avant que regarder,
Ce qu'à mes sentiments vous devez demander;
900 Et sur cette froideur qui semble vous confondre,
Répondez-vous, Seigneur, ce que je puis répondre;
Car enfin tous vos soins ne sauraient ignorer
Quels secrets de votre âme on m'a su déclarer,
Et je la crois cette âme, et trop noble, et trop haute,
905 Pour vouloir m'obliger à commettre une faute;
Vous-même, dites-vous, s'il est de l'équité,
De me voir couronner une infidélité.
Si vous pouviez m'offrir, sans beaucoup d'injustice
Un cœur à d'autres yeux offert en sacrifice,
910 Vous plaindre avec raison, et blâmer mes refus,
Lorsqu'ils veulent d'un crime affranchir vos vertus.
Oui, Seigneur, c'est un crime, et les premières flammes,
Ont des droits si sacrés sur les illustres âmes,
Qu'il faut perdre grandeurs, et renoncer au jour,
915 Plutôt que de pencher vers un second amour*.
J'ai pour vous cette ardeur que peut prendre l'estime,
Pour un courage haut, pour un cœur magnanime;
Mais n'exigez de moi que ce que je vous dois,
Et soutenez l'honneur de votre premier choix.
920 Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendresse
Vous conserve le cœur de l'aimable comtesse;
Ce que pour un ingrat, (car vous l'êtes Seigneur,)
Elle a d'un choix constant refusé de bonheur*.
Quel mépris généreux dans son ardeur extrême,
925 Elle a fait de l'éclat, que donne un diadème;
Voyez combien d'efforts pour vous elle a bravés,
Et rendez à son cœur, ce que vous lui devez.

DOM SYLVE
Ah! Madame, à mes yeux n'offrez point son mérite,
Il n'est que trop présent à l'ingrat qui la quitte;
930 Et si mon cœur vous dit, ce que pour elle il sent,
J'ai peur qu'il ne soit pas envers vous innocent.
Oui, ce cœur l'ose plaindre, et ne suit pas sans peine
L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne,
Aucun espoir pour vous n'a flatté mes désirs,
935 Qui ne m'ait arraché pour elle des soupirs;
Qui n'ait dans ses douceurs fait jeter à mon âme,
Quelques tristes regards, vers sa première flamme
Se reprocher l'effet de vos divins attraits,
Et mêler des remords à mes plus chers souhaits.
940 J'ai fait plus que cela, puisqu'il vous faut tout dire,
Oui, j'ai voulu sur moi vous ôter votre empire,
Sortir de votre chaîne, et rejeter mon cœur,
Sous le joug innocent de son premier vainqueur.
Mais après mes efforts ma constance abattue,
945 Voit un cours nécessaire à ce mal qui me tue;
Et dût être mon sort à jamais malheureux,
Je ne puis renoncer à l'espoir de mes vœux;
Je ne saurais souffrir l'épouvantable idée
De vous voir par un autre à mes yeux possédée;
950 Et le flambeau du jour qui m'offre vos appas,
Doit avant cet hymen éclairer mon trépas.
Je sais que je trahis une princesse aimable,
Mais, Madame, après tout mon cœur est-il coupable;
Et le fort ascendant, que prend votre beauté,
955 Laisse-t-il aux esprits aucune liberté?
Hélas! je suis ici, bien plus à plaindre qu'elle,
Son cœur, en me perdant, ne perd qu'un infidèle.
D'un pareil déplaisir on se peut consoler;
Mais moi par un malheur qui ne peut s'égaler,
960 J'ai celui de quitter une aimable personne,
Et tous les maux encor que mon amour me donne.

DONE ELVIRE
Vous n'avez que les maux que vous voulez avoir,
Et toujours notre cœur est en notre pouvoir;
Il peut bien quelquefois montrer quelque faiblesse,
965 Mais enfin, sur nos sens, la raison, la maîtresse...