Monsieur de Pourceaugnac » Acte 1 » SCÈNE IV
ÉRASTE, SBRIGANI, MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.ÉRASTE.- Ah qu'est-ce ci*! que vois-je! Quelle heureuse rencontre! Monsieur de Pourceaugnac! que je suis ravi de vous voir! Comment? il semble que vous ayez peine à me reconnaître?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Monsieur, je suis votre serviteur.ÉRASTE.- Est-il possible que cinq ou six années m'aient ôté de votre mémoire? et que vous ne reconnaissiez pas le meilleur ami de toute la famille des Pourceaugnac?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Pardonnez-moi. (À Sbrigani.) Ma foi, je ne sais qui il est.ÉRASTE.- Il n'y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connaisse depuis le plus grand jusques au plus petit; je ne fréquentais qu'eux dans le temps que j'y étais, et j'avais l'honneur de vous voir presque tous les jours.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est moi qui l'ai reçu*, Monsieur.ÉRASTE.- Vous ne vous remettez point mon visage?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Si fait. (À Sbrigani.) Je ne le connais point.ÉRASTE.- Vous ne vous ressouvenez pas que j'ai eu le bonheur de boire avec vous je ne sais combien de fois*?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Excusez-moi. (À Sbrigani.) Je ne sais ce que c'est.ÉRASTE.- Comment appelez-vous ce traiteur de Limoges qui fait si bonne chère?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Petit-Jean?ÉRASTE.- Le voilà. Nous allions le plus souvent ensemble chez lui nous réjouir. Comment est-ce que vous nommez à Limoges ce lieu où l'on se promène?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Le cimetière des Arènes?ÉRASTE.- Justement; c'est où je passais de si douces heures à jouir de votre agréable conversation. Vous ne vous remettez pas tout cela?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Excusez-moi, je me le remets. (À Sbrigani.) Diable emporte, si je m'en souviens.SBRIGANI.- Il y a cent choses comme cela qui passent de la tête.ÉRASTE.- Embrassez-moi donc, je vous prie, et resserrons les nœuds de notre ancienne amitié.SBRIGANI.- Voilà un homme qui vous aime fort.ÉRASTE.- Dites-moi un peu des nouvelles de toute la parenté: comment se porte Monsieur votre... là... qui est si honnête homme?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Mon frère le consul?ÉRASTE.- Oui.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Il se porte le mieux du monde.ÉRASTE.- Certes j'en suis ravi. Et celui qui est de si bonne humeur? là... Monsieur votre...?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Mon cousin l'assesseur*?ÉRASTE.- Justement.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Toujours gai et gaillard.ÉRASTE.- Ma foi, j'en ai beaucoup de joie. Et Monsieur votre oncle? le....MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je n'ai point d'oncle.ÉRASTE.- Vous en aviez pourtant en ce temps-là...MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Non, rien qu'une tante.ÉRASTE.- C'est ce que je voulais dire, Madame votre tante; comment se porte-t-elle?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Elle est morte depuis six mois.ÉRASTE.- Hélas la pauvre femme! elle était si bonne personne.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Nous avons aussi mon neveu le chanoine, qui a pensé mourir de la petite vérole.ÉRASTE.- Quel dommage ç'aurait été!MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Le connaissez-vous aussi?ÉRASTE.- Vraiment si je le connais! Un grand garçon bien fait.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Pas des plus grands.ÉRASTE.- Non, mais de taille bien prise.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Eh oui.ÉRASTE.- Qui est votre neveu...MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Oui.ÉRASTE.- Fils de votre frère et de votre sœur*...MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Justement.ÉRASTE.- Chanoine de l'église de... comment l'appelez-vous?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- De Saint-Etienne.ÉRASTE.- Le voilà, je ne connais autre.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Il dit toute la parenté*.SBRIGANI.- Il vous connaît plus que vous ne croyez.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- À ce que je vois, vous avez demeuré longtemps dans notre ville?ÉRASTE.- Deux ans entiers.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Vous étiez donc là quand mon cousin l'élu, fit tenir son enfant à Monsieur notre gouverneur*?ÉRASTE.- Vraiment oui, j'y fus convié des premiers.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Cela fut galant.ÉRASTE.- Très galant*.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'était un repas bien troussé.ÉRASTE.- Sans doute.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Vous vîtes donc aussi la querelle que j'eus avec ce gentilhomme périgordin?ÉRASTE.- Oui.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Parbleu il trouva à qui parler.ÉRASTE.- Ah, ah!MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait.ÉRASTE.- Assurément. Au reste, je ne prétends pas* que vous preniez d'autre logis que le mien.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je n'ai garde de...ÉRASTE.- Vous moquez-vous? Je ne souffrirai point du tout que mon meilleur ami soit autre part que dans ma maison.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ce serait vous...ÉRASTE.- Non: le diable m'emporte*, vous logerez chez moi.SBRIGANI.- Puisqu'il le veut obstinément, je vous conseille d'accepter l'offre.ÉRASTE.- Où sont vos hardes?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je les ai laissées avec mon valet où je suis descendu.ÉRASTE.- Envoyons-les quérir par quelqu'un.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Non: je lui ai défendu de bouger, à moins que j'y fusse moi-même, de peur de quelque fourberie.SBRIGANI.- C'est prudemment avisé.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ce pays-ci est un peu sujet à caution.ÉRASTE.- On voit les gens d'esprit en tout.SBRIGANI.- Je vais accompagner Monsieur, et le ramènerai où vous voudrez.ÉRASTE.- Oui, je serai bien aise de donner quelques ordres, et vous n'avez qu'à revenir à cette maison-là.SBRIGANI.- Nous sommes à vous tout à l'heure.ÉRASTE.- Je vous attends avec impatience.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Voilà une connaissance où je ne m'attendais point.SBRIGANI.- Il a la mine d'être honnête homme.ÉRASTE, seul.- Ma foi, Monsieur de Pourceaugnac, nous vous en donnerons de toutes les façons; les choses sont préparées, et je n'ai qu'à frapper*.
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