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Actes de l'oeuvre
Les fourberies de Scapin :

¤Acte 1
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
¤Acte 2
¤Acte 3
 
 

 

Les fourberies de Scapin » Acte 1 » SCÈNE IV

ARGANTE, SCAPIN, SILVESTRE.

ARGANTE.- A-t-on jamais ouï parler d'une action pareille à celle-là?

SCAPIN.- Il a déjà appris l'affaire, et elle lui tient si fort en tête, que tout seul il en parle haut.

ARGANTE.- Voilà une témérité bien grande!

SCAPIN.- Écoutons-le un peu.

ARGANTE.- Je voudrais bien savoir ce qu'ils me pourront dire sur ce beau mariage.

SCAPIN.- Nous y avons songé.

ARGANTE.- Tâcheront-ils de me nier la chose?

SCAPIN.- Non, nous n'y pensons pas.

ARGANTE.- Ou s'ils entreprendront de l'excuser?

SCAPIN.- Celui-là* se pourra faire.

ARGANTE.- Prétendront-ils m'amuser par des contes en l'air?

SCAPIN.- Peut-être.

ARGANTE.- Tous leurs discours seront inutiles.

SCAPIN.- Nous allons voir.

ARGANTE.- Ils ne m'en donneront point à garder*.

SCAPIN.- Ne jurons de rien.

ARGANTE.- Je saurai mettre mon pendard de fils en lieu de sûreté.

SCAPIN.- Nous y pourvoirons.

ARGANTE.- Et pour le coquin de Silvestre, je le rouerai de coups.

SILVESTRE.- J'étais bien étonné s'il m'oubliait.

ARGANTE.- Ah, ah, vous voilà donc, sage gouverneur de famille, beau directeur de jeunes gens.

SCAPIN.- Monsieur, je suis ravi de vous voir de retour.

ARGANTE.- Bonjour, Scapin*, vous avez suivi mes ordres vraiment d'une belle manière, et mon fils s'est comporté fort sagement pendant mon absence.

SCAPIN.- Vous vous portez bien, à ce que je vois?

ARGANTE.- Assez bien. (À Silvestre.) Tu ne dis mot, coquin, tu ne dis mot.

SCAPIN.- Votre voyage a-t-il été bon?

ARGANTE.- Mon Dieu, fort bon. Laisse-moi un peu quereller en repos.

SCAPIN.- Vous voulez quereller?

ARGANTE.- Oui, je veux quereller.

SCAPIN.- Et qui, Monsieur?

ARGANTE.- Ce maraud-là.

SCAPIN.- Pourquoi?

ARGANTE.- Tu n'as pas ouï parler de ce qui s'est passé dans mon absence?

SCAPIN.- J'ai bien ouï parler de quelque petite chose.

ARGANTE.- Comment quelque petite chose! Une action de cette nature?

SCAPIN.- Vous avez quelque raison.

ARGANTE.- Une hardiesse pareille à celle-là?

SCAPIN.- Cela est vrai.

ARGANTE.- Un fils qui se marie sans le consentement de son père?

SCAPIN.- Oui, il y a quelque chose à dire à cela. Mais je serais d'avis que vous ne fissiez point de bruit.

ARGANTE.- Je ne suis pas de cet avis, moi, et je veux faire du bruit tout mon soûl. Quoi, tu ne trouves pas que j'aie tous les sujets du monde d'être en colère?

SCAPIN.- Si fait, j'y ai d'abord été, moi, lorsque j'ai su la chose, et je me suis intéressé pour vous, jusqu'à quereller votre fils. Demandez-lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l'ai chapitré sur le peu de respect qu'il gardait à un père, dont il devrait baiser les pas. On ne peut pas lui mieux parler, quand ce serait vous-même. Mais quoi, je me suis rendu à la raison, et j'ai considéré que dans le fond, il n'a pas tant de tort qu'on pourrait croire.

ARGANTE.- Que me viens-tu conter? Il n'a pas tant de tort de s'aller marier de but en blanc avec une inconnue?

SCAPIN.- Que voulez-vous, il y a été poussé par sa destinée.

ARGANTE.- Ah, ah, voici une raison la plus belle du monde. On n'a plus qu'à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner, et dire pour excuse, qu'on y a été poussé par sa destinée.

SCAPIN.- Mon Dieu, vous prenez mes paroles trop en philosophe. Je veux dire qu'il s'est trouvé fatalement engagé dans cette affaire.

ARGANTE.- Et pourquoi s'y engageait-il?

SCAPIN.- Voulez-vous qu'il soit aussi sage que vous? Les jeunes gens sont jeunes, et n'ont pas toute la prudence qu'il leur faudrait, pour ne rien faire que de raisonnable; témoin notre Léandre, qui malgré toutes mes leçons, malgré toutes mes remontrances, est allé faire de son côté pis encore que votre fils. Je voudrais bien savoir si vous-même n'avez pas été jeune, et n'avez pas dans votre temps fait des fredaines comme les autres. J'ai ouï dire, moi, que vous avez été autrefois un compagnon* parmi les femmes, que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes de ce temps-là; et que vous n'en approchiez point, que vous ne poussassiez à bout.

ARGANTE.- Cela est vrai. J'en demeure d'accord; mais je m'en suis toujours tenu à la galanterie, et je n'ai point été jusqu'à faire ce qu'il a fait.

SCAPIN.- Que vouliez-vous qu'il fît? Il voit une jeune personne qui lui veut du bien (car il tient de vous, d'être aimé de toutes les femmes). Il la trouve charmante. Il lui rend des visites; lui conte des douceurs, soupire galamment, fait le passionné. Elle se rend à sa poursuite. Il pousse sa fortune. Le voilà surpris avec elle par ses parents, qui la force à la main le contraignent de l'épouser.

SILVESTRE.- L'habile fourbe que voilà!

SCAPIN.- Eussiez-vous voulu qu'il se fût laissé tuer? Il vaut mieux encore être marié, qu'être mort.

ARGANTE.- On ne m'a pas dit que l'affaire se soit ainsi passée.

SCAPIN.- Demandez-lui plutôt. Il ne vous dira pas le contraire.

ARGANTE.- C'est par force qu'il a été marié?

SILVESTRE.- Oui, Monsieur.

SCAPIN.- Voudrais-je vous mentir?

ARGANTE.- Il devait donc aller tout aussitôt protester de violence chez un notaire.

SCAPIN.- C'est ce qu'il n'a pas voulu faire.

ARGANTE.- Cela m'aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage.

SCAPIN.- Rompre ce mariage!

ARGANTE.- Oui.

SCAPIN.- Vous ne le romprez point.

ARGANTE.- Je ne le romprai point?

SCAPIN.- Non.

ARGANTE.- Quoi, je n'aurai pas pour moi les droits de père, et la raison de la violence qu'on a faite à mon fils*?

SCAPIN.- C'est une chose dont il ne demeurera pas d'accord.

ARGANTE.- Il n'en demeurera pas d'accord?

SCAPIN.- Non.

ARGANTE.- Mon fils?

SCAPIN.- Votre fils. Voulez-vous qu'il confesse qu'il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu'on lui ait fait faire les choses? Il n'a garde d'aller avouer cela. Ce serait se faire tort, et se montrer indigne d'un père comme vous.

ARGANTE.- Je me moque de cela.

SCAPIN.- Il faut, pour son honneur, et pour le vôtre, qu'il dise dans le monde, que c'est de bon gré qu'il l'a épousée.

ARGANTE.- Et je veux moi, pour mon honneur et pour le sien, qu'il dise le contraire.

SCAPIN.- Non, je suis sûr qu'il ne le fera pas.

ARGANTE.- Je l'y forcerai bien.

SCAPIN.- Il ne le fera pas, vous dis-je*.

ARGANTE.- Il le fera, ou je le déshériterai.

SCAPIN.- Vous?

ARGANTE.- Moi.

SCAPIN.- Bon.

ARGANTE.- Comment, bon?

SCAPIN.- Vous ne le déshériterez point.

ARGANTE.- Je ne le déshériterai point?

SCAPIN.- Non.

ARGANTE.- Non?

SCAPIN.- Non.

ARGANTE.- Hoy. Voici qui est plaisant. Je ne déshériterai pas mon fils.

SCAPIN.- Non, vous dis-je.

ARGANTE.- Qui m'en empêchera?

SCAPIN.- Vous-même.

ARGANTE.- Moi?

SCAPIN.- Oui. Vous n'aurez pas ce cœur-là.

ARGANTE.- Je l'aurai.

SCAPIN.- Vous vous moquez.

ARGANTE.- Je ne me moque point.

SCAPIN.- La tendresse paternelle fera son office.

ARGANTE.- Elle ne fera rien.

SCAPIN.- Oui, oui.

ARGANTE.- Je vous dis que cela sera.

SCAPIN.- Bagatelles.

ARGANTE.- Il ne faut point dire bagatelles.

SCAPIN.- Mon Dieu, je vous connais, vous êtes bon naturellement.

ARGANTE.- Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Finissons ce discours qui m'échauffe la bile. Va-t'en, pendard, va-t'en me chercher mon fripon, tandis que j'irai rejoindre le seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce.

SCAPIN.- Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n'avez qu'à me commander.

ARGANTE.- Je vous remercie. Ah pourquoi faut-il qu'il soit fils unique! et que n'ai-je à cette heure la fille que le Ciel m'a ôtée, pour la faire mon héritière!