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Actes de l'oeuvre
Le Misanthrope :

¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
¤Acte 4
¤Acte 5
ºSCÈNE PREMIERE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE DERNIÈRE
 
 

 

Le Misanthrope » Acte 5 » SCÈNE DERNIÈRE

ACASTE, CLITANDRE, ARSINOÉ, PHILINTE, ÉLIANTE, ORONTE, CÉLIMÈNE, ALCESTE.


ACASTE
Madame, nous venons, tous deux, sans vous déplaire,
1670 Éclaircir, avec vous, une petite affaire.

CLITANDRE
Fort à propos, Messieurs, vous vous trouvez ici,
Et vous êtes mêlés dans cette affaire, aussi.

ARSINOÉ
Madame, vous serez surprise de ma vue,
Mais ce sont ces messieurs qui causent ma venue;
1675 Tous deux ils m'ont trouvée, et se sont plaints à moi,
D'un trait, à qui mon cœur ne saurait prêter foi.
J'ai du fond de votre âme, une trop haute estime,
Pour vous croire, jamais, capable d'un tel crime,
Mes yeux ont démenti leurs témoins les plus forts:
1680 Et l'amitié passant sur de petits discords,
J'ai bien voulu, chez vous, leur faire compagnie,
Pour vous voir vous laver de cette calomnie.

ACASTE
Oui, Madame, voyons, d'un esprit adouci,
Comment vous vous prendrez, à soutenir ceci?
1685 Cette lettre, par vous, est écrite à Clitandre?

CLITANDRE
Vous avez, pour Acaste, écrit ce billet tendre?

ACASTE
Messieurs, ces traits*, pour vous, n'ont point d'obscurité,
Et je ne doute pas que sa civilité,
À connaître sa main, n'ait trop su vous instruire:
1690 Mais ceci vaut, assez, la peine de le lire.

Vous êtes un étrange homme, de condamner mon enjouement, et de me reprocher que je n'ai jamais, tant de joie, que lorsque je ne suis pas avec vous. Il n'y a rien de plus injuste; et si vous ne venez bien vite, me demander pardon de cette offense, je ne vous le pardonnerai* de ma vie. Notre grand flandrin de Vicomte...


Il devrait être ici.


Notre grand flandrin de Vicomte, par qui vous commencez vos plaintes, est un homme qui ne saurait me revenir; et depuis que je l'ai vu, trois quarts d'heure durant, cracher dans un puits, pour faire des ronds, je n'ai pu jamais, prendre bonne opinion de lui. Pour le petit Marquis...


C'est moi-même, Messieurs, sans nulle vanité.

Pour le petit Marquis, qui me tint hier, longtemps, la main*, je trouve qu'il n'y a rien de si mince que toute sa personne; et ce sont de ces mérites qui n'ont que la cape et l'épée*. Pour l'homme aux rubans verts...


À vous le dé*, Monsieur.


Pour l'homme aux rubans verts, il me divertit quelquefois, avec ses brusqueries, et son chagrin bourru; mais il est cent moments, où je le trouve le plus fâcheux du monde. Et pour l'homme à la veste*...


Voici votre paquet.


Et pour l'homme à la veste, qui s'est jeté dans le bel esprit, et veut être auteur malgré tout le monde, je ne puis me donner la peine d'écouter ce qu'il dit; et sa prose me fatigue autant que ses vers. Mettez-vous, donc, en tête, que je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez; que je vous trouve à dire* plus que je ne voudrais, dans toutes les parties où l'on m'entraîne; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux plaisirs qu'on goûte, que la présence des gens qu'on aime.


CLITANDRE


Me voici maintenant, moi.


Votre Clitandre, dont vous me parlez, et qui fait tant le doucereux, est le dernier des hommes pour qui j'aurais de l'amitié. Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime; et vous l'êtes, de croire qu'on ne vous aime pas. Changez, pour être raisonnable, vos sentiments contre les siens; et voyez-moi le plus que vous pourrez, pour m'aider à porter le chagrin d'en être obsédée.


D'un fort beau caractère, on voit là, le modèle,
Madame, et vous savez comment cela s'appelle?
Il suffit, nous allons l'un, et l'autre, en tous lieux,
Montrer, de votre cœur, le portrait glorieux.

ACASTE
1695 J'aurais de quoi vous dire, et belle est la matière,
Mais je ne vous tiens pas digne de ma colère;
Et je vous ferai voir, que les petits marquis
Ont, pour se consoler, des cœurs de plus haut prix.

ORONTE
Quoi! de cette façon je vois qu'on me déchire,
1700 Après tout ce qu'à moi, je vous ai vu m'écrire:
Et votre cœur paré de beaux semblants d'amour,
À tout le genre humain se promet tour à tour!
Allez, j'étais trop dupe, et je vais ne plus l'être,
Vous me faites un bien, me faisant vous connaître;
1705 J'y profite d'un cœur, qu'ainsi vous me rendez,
Et trouve ma vengeance, en ce que vous perdez.

(À Alceste.
Monsieur, je ne fais plus d'obstacle à votre flamme,
Et vous pouvez conclure affaire avec Madame.

ARSINOÉ
Certes, voilà le trait du monde le plus noir,
1710 Je ne m'en saurais taire, et me sens émouvoir.
Voit-on des procédés qui soient pareils aux vôtres?
Je ne prends point de part aux intérêts des autres:
Mais, Monsieur, que, chez vous, fixait votre bonheur,
Un homme, comme lui, de mérite, et d'honneur,
1715 Et qui vous chérissait avec idolâtrie,
Devait-il...

ALCESTE
Laissez-moi, Madame, je vous prie,
Vider mes intérêts, moi-même, là-dessus,
Et ne vous chargez point de ces soins superflus.
Mon cœur a beau vous voir prendre, ici, sa querelle,
1720 Il n'est point en état de payer ce grand zèle;
Et ce n'est pas à vous, que je pourrai songer,
Si, par un autre choix, je cherche à me venger.

ARSINOÉ
Hé! croyez-vous, Monsieur, qu'on ait cette pensée,
Et que, de vous avoir, on soit tant empressée?
1725 Je vous trouve un esprit bien plein de vanité,
Si, de cette créance, il peut s'être flatté:
Le rebut de Madame, est une marchandise,
Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise.
Détrompez-vous, de grâce, et portez-le moins haut*,
1730 Ce ne sont pas des gens, comme moi, qu'il vous faut;
Vous ferez bien, encor, de soupirer pour elle,
Et je brûle de voir, une union si belle.

Elle se retire.


ALCESTE
Hé bien, je me suis tu, malgré ce que je voi,
Et j'ai laissé parler tout le monde, avant moi.
1735 Ai-je pris sur moi-même, un assez long empire,
Et puis-je, maintenant...

CÉLIMÈNE
Oui, vous pouvez tout dire,
Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez,
Et de me reprocher tout ce que vous voudrez.
J'ai tort, je le confesse, et mon âme confuse
1740 Ne cherche à vous payer, d'aucune vaine excuse:
J'ai des autres, ici, méprisé le courroux,
Mais je tombe d'accord de mon crime envers vous.
Votre ressentiment, sans doute*, est raisonnable,
Je sais combien je dois vous paraître coupable,
1745 Que toute chose dit, que j'ai pu vous trahir,
Et, qu'enfin, vous avez sujet de me haïr.
Faites-le, j'y consens.

ALCESTE
Hé le puis-je, traîtresse,
Puis-je, ainsi, triompher de toute ma tendresse?
Et quoique avec ardeur, je veuille vous haïr,
1750 Trouvé-je un cœur, en moi, tout prêt à m'obéir?

(À Éliante et Philinte.)
Vous voyez ce que peut une indigne tendresse,
Et je vous fais, tous deux, témoins de ma faiblesse.
Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas, encor, tout,
Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,
1755 Montrer que c'est à tort, que sages on nous nomme,
Et que, dans tous les cœurs, il est toujours de l'homme.
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits,
J'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d'une faiblesse,
1760 Où le vice du temps, porte votre jeunesse;
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains,
Et que, dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.
1765 C'est par là, seulement, que dans tous les esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits;
Et qu'après cet éclat, qu'un noble cœur abhorre,
Il peut m'être permis de vous aimer encore.

CÉLIMÈNE
Moi, renoncer au monde, avant que de vieillir!
1770 Et dans votre désert aller m'ensevelir!

ALCESTE
Et s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde?
Vos désirs, avec moi, ne sont-ils pas contents?

CÉLIMÈNE
La solitude effraye une âme de vingt ans;
1775 Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds:
Et l'hymen*...

ALCESTE
Non, mon cœur, à présent, vous déteste,
1780 Et ce refus, lui seul, fait plus que tout le reste:
Puisque vous n'êtes point en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage,
De vos indignes fers, pour jamais me dégage.

(Célimène se retire, et Alceste parle à Éliante.)
1785 Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu, qu'en vous, de la sincérité:
De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême,
Mais laissez-moi, toujours, vous estimer de même:
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
1790 Ne se présente point à l'honneur de vos fers;
Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître,
Que le Ciel, pour ce nœud, ne m'avait point fait naître;
Que ce serait, pour vous, un hommage trop bas,
Que le rebut d'un cœur qui ne vous valait pas:
Et qu'enfin...

ÉLIANTE
1795 Vous pouvez suivre cette pensée,
Ma main, de se donner, n'est pas embarrassée;
Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.

PHILINTE
Ah! cet honneur, Madame, est toute mon envie,
1800 Et j'y sacrifierais et mon sang, et ma vie.

ALCESTE
Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L'un pour l'autre, à jamais, garder ces sentiments.
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,
Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices;
1805 Et chercher sur la terre, un endroit écarté,
Où d'être homme d'honneur, on ait la liberté.

PHILINTE
Allons, Madame, allons employer toute chose,
Pour rompre le dessein que son cœur se propose.