Le Tartuffe ou l'Imposteur » Acte 5 » SCÈNE DERNIÈRE
L'EXEMPT, TARTUFFE, VALÈRE, ORGON, ELMIRE, MARIANE, etc. TARTUFFE Tout beau, Monsieur, tout beau, ne courez point si vite,Vous n'irez pas fort loin, pour trouver votre gîte,Et de la part du Prince, on vous fait prisonnier. ORGON Traître, tu me gardais ce trait pour le dernier. 1865 C'est le coup, scélérat, par où tu m'expédies,Et voilà couronner toutes tes perfidies. TARTUFFE Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir,Et je suis, pour le Ciel, appris à tout souffrir. CLÉANTE La modération est grande, je l'avoue. DAMIS 1870 Comme du Ciel, l'infâme, impudemment se joue! TARTUFFE Tous vos emportements ne sauraient m'émouvoir,Et je ne songe à rien, qu'à faire mon devoir. MARIANE Vous avez de ceci, grande gloire à prétendre,Et cet emploi pour vous, est fort honnête à prendre. TARTUFFE 1875 Un emploi ne saurait être que glorieux,Quand il part du pouvoir qui m'envoie en ces lieux. ORGON Mais t'es-tu souvenu que ma main charitable,Ingrat, t'a retiré d'un état misérable? TARTUFFE Oui, je sais quels secours j'en ai pu recevoir; 1880 Mais l'intérêt du Prince est mon premier devoir!De ce devoir sacré, la juste violenceÉtouffe dans mon cœur toute reconnaissance ;Et je sacrifierais à de si puissants nœuds,Ami, femme, parents, et moi-même avec eux. ELMIRE L'imposteur! DORINE 1885 Comme il sait, de traîtresse manière, Se faire un beau manteau de tout ce qu'on révère! CLÉANTE Mais s'il est si parfait que vous le déclarez,Ce zèle qui vous pousse, et dont vous vous parez;D'où vient que pour paraître, il s'avise d'attendre, 1890 Qu'à poursuivre sa femme, il ait su vous surprendre?Et que vous ne songez à l'aller dénoncer,Que lorsque son honneur l'oblige à vous chasser?Je ne vous parle point, pour devoir en distraire,Du don de tout son bien* qu'il venait de vous faire: 1895 Mais le voulant traiter en coupable aujourd'hui,Pourquoi consentiez-vous à rien prendre de lui? TARTUFFE, à l'Exempt. Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerie,Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie. L'EXEMPT Oui, c'est trop demeurer, sans doute*, à l'accomplir. 1900 Votre bouche à propos m'invite à le remplir;Et pour l'exécuter, suivez-moi tout à l'heure*Dans la prison qu'on doit vous donner pour demeure. TARTUFFE Qui, moi, Monsieur? L'EXEMPT Oui, vous. TARTUFFE Pourquoi donc la prison? L'EXEMPT Ce n'est pas vous à qui j'en veux rendre raison. 1905 Remettez-vous, Monsieur, d'une alarme si chaude*.Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude,Un Prince dont les yeux se font jour dans les cœurs,Et que ne peut tromper tout l'art des imposteurs.D'un fin discernement, sa grande âme pourvue, 1910 Sur les choses toujours jette une droite vue,Chez elle jamais rien ne surprend trop d'accès,Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.Il donne aux gens de bien une gloire immortelle,Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle, 1915 Et l'amour pour les vrais*, ne ferme point son cœurÀ tout ce que les faux doivent donner d'horreur.Celui-ci n'était pas pour le pouvoir surprendre,Et de pièges plus fins on le voit se défendre.D'abord il a percé, par ses vives clartés, 1920 Des replis de son cœur, toutes les lâchetés.Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même,Et par un juste trait de l'équité suprême*,S'est découvert au Prince un fourbe renommé,Dont sous un autre nom il était informé; 1925 Et c'est un long détail d'actions toutes noires,Dont on pourrait former des volumes d'histoires.Ce monarque, en un mot, a vers vous détestéSa lâche ingratitude, et sa déloyauté*;À ses autres horreurs, il a joint cette suite*, 1930 Et ne m'a, jusqu'ici, soumis à sa conduite,Que pour voir l'impudence aller jusques au bout,Et vous faire, par lui, faire raison de tout*.Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître,Il veut qu'entre vos mains, je dépouille le traître. 1935 D'un souverain pouvoir il brise les liensDu contrat qui lui fait un don de tous vos biens,Et vous pardonne enfin cette offense secrèteOù vous a, d'un ami, fait tomber la retraite;Et c'est le prix qu'il donne au zèle qu'autrefois 1940 On vous vit témoigner, en appuyant ses droits*;Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense,D'une bonne action verser la récompense ;Que jamais le mérite, avec lui, ne perd rien,Et que mieux que du mal, il se souvient du bien. DORINE Que le Ciel soit loué! MADAME PERNELLE 1945 Maintenant je respire. ELMIRE Favorable succès! MARIANE Qui l'aurait osé dire? ORGON, à Tartuffe. Hé bien, te voilà, traître... CLÉANTE Ah! mon frère, arrêtez, Et ne descendez point à des indignités.À son mauvais destin laissez un misérable, 1950 Et ne vous joignez point au remords qui l'accable.Souhaitez bien plutôt, que son cœur, en ce jour,Au sein de la vertu fasse un heureux retour;Qu'il corrige sa vie, en détestant son vice,Et puisse du grand Prince adoucir la justice; 1955 Tandis qu'à sa bonté vous irez à genoux,Rendre ce que demande un traitement si doux. ORGON Oui, c'est bien dit; allons à ses pieds, avec joie,Nous louer des bontés que son cœur nous déploie:Puis acquittés un peu de ce premier devoir, 1960 Aux justes soins d'un autre, il nous faudra pourvoir;Et par un doux hymen, couronner en Valère,La flamme d'un amant généreux, et sincère.
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