Psyché » Acte 2 » SCÈNE IV
CLÉOMÈNE, AGÉNOR, PSYCHÉ. CLÉOMÈNE Deux amis, deux rivaux, dont l'unique souci 810 Est d'exposer leurs jours pour conserver les vôtres. PSYCHÉ Puis-je vous écouter quand j'ai chassé deux sœurs?Princes, contre le Ciel pensez-vous me défendre?Vous livrer au serpent qu'ici je dois attendre,Ce n'est qu'un désespoir qui sied mal aux grands cœurs, 815 Et mourir alors que je meurs,C'est accabler une âme tendreQui n'a que trop de ses douleurs. AGÉNOR Un serpent n'est pas invincible;Cadmus qui n'aimait rien défit celui de Mars, 820 Nous aimons, et l'amour sait rendre tout possibleAu cœur qui suit ses étendards,À la main dont lui-même il conduit tous les dards. PSYCHÉ Voulez-vous qu'il vous serve en faveur d'une ingrateQue tous ses traits n'ont pu toucher? 825 Qu'il dompte sa vengeance au moment qu'elle éclate,Et vous aide à m'en arracher?Quand même vous m'auriez servie,Quand vous m'auriez rendu la vie,Quel fruit espérez-vous de qui ne peut aimer? CLÉOMÈNE 830 Ce n'est point par l'espoir d'un si charmant salaireQue nous nous sentons animer,Nous ne cherchons qu'à satisfaireAux devoirs d'un amour qui n'ose présumerQue jamais, quoi qu'il puisse faire, 835 Il soit capable de vous plaire,Et digne de vous enflammer.Vivez, belle Princesse, et vivez pour un autre:Nous le verrons d'un œil jaloux,Nous en mourrons, mais d'un trépas plus doux 840 Que s'il nous fallait voir le vôtre.Et si nous ne mourons en vous sauvant le jour,Quelque amour qu'à nos yeux vous préfériez au nôtre,Nous voulons bien mourir de douleur et d'amour. PSYCHÉ Vivez, Princes, vivez, et de ma destinée 845 Ne songez plus à rompre, ou partager la loi:Je crois vous l'avoir dit, le Ciel ne veut que moi,Le Ciel m'a seule condamnée.Je pense ouïr déjà les mortels sifflementsDe son ministre qui s'approche, 850 Ma frayeur me le peint, me l'offre à tous moments,Et maîtresse qu'elle est de tous mes sentiments,Elle me le figure au haut de cette roche,J'en tombe de faiblesse, et mon cœur abattuNe soutient plus qu'à peine un reste de vertu. 855 Adieu, Princes, fuyez, qu'il ne vous empoisonne. AGÉNOR Rien ne s'offre à nos yeux encor qui les étonne,Et quand vous vous peignez un si proche trépas,Si la force vous abandonne,Nous avons des cœurs et des bras 860 Que l'espoir n'abandonne pas.Peut-être qu'un rival a dicté cet oracle,Que l'or a fait parler celui qui l'a rendu:Ce ne serait pas un miracle,Que pour un dieu muet un homme eût répondu, 865 Et dans tous les climats on n'a que trop d'exemplesQu'il est ainsi qu'ailleurs des méchants dans les temples. CLÉOMÈNE Laissez-nous opposer au lâche ravisseur,À qui le sacrilège indignement vous livre,Un amour qu'a le Ciel choisi pour défenseur 870 De la seule beauté pour qui nous voulons vivre.Si nous n'osons prétendre à sa possession,Du moins en son péril permettez-nous de suivreL'ardeur et les devoirs de notre passion. PSYCHÉ Portez-les à d'autres moi-mêmes, 875 Princes, portez-les à mes sœursCes devoirs, ces ardeurs extrêmesDont pour moi sont remplis vos cœurs.Vivez pour elles quand je meurs,Plaignez de mon destin les funestes rigueurs, 880 Sans leur donner en vous de nouvelles matières:Ce sont mes volontés dernières,Et l'on a reçu de tout tempsPour souveraines lois les ordres des mourants. CLÉOMÈNE Princesse... PSYCHÉ Encore un coup, Princes, vivez pour elles, 885 Tant que vous m'aimerez vous devez m'obéir;Ne me réduisez pas à vouloir vous haïr,Et vous regarder en rebelles,À force de m'être fidèles.Allez, laissez-moi seule expirer en ce lieu, 890 Où je n'ai plus de voix que pour vous dire adieu.Mais je sens qu'on m'enlève, et l'air m'ouvre une routeD'où vous n'entendrez plus cette mourante voix.Adieu, Princes, adieu pour la dernière fois,Voyez si de mon sort vous pouvez être en doute. Elle est enlevée en l'air par deux Zéphires. AGÉNOR 895 Nous la perdons de vue. Allons tous deux chercherSur le faîte de ce rocher,Prince, les moyens de la suivre. CLÉOMÈNE Allons-y chercher ceux de ne lui point survivre.
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