L'École des femmes » Acte 5 » SCÈNE IV
ARNOLPHE, AGNÈS. ARNOLPHE, le nez dans son manteau. Venez, ce n'est pas là que je vous logerai,Et votre gîte ailleurs est par moi préparé,Je prétends en lieu sûr mettre votre personne.Me connaissez-vous? AGNÈS, le reconnaissant. Hay. ARNOLPHE 1485 Mon visage, friponne, Dans cette occasion rend vos sens effrayés;Et c'est à contre-cœur qu'ici vous me voyez;Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède,(Agnès regarde si elle ne verra point Horace.)N'appelez point des yeux le galant à votre aide, 1490 Il est trop éloigné pour vous donner secours;Ah, ah, si jeune encor, vous jouez de ces tours,Votre simplicité, qui semble sans pareille,Demande si l'on fait les enfants par l'oreille,Et vous savez donner des rendez-vous la nuit, 1495 Et pour suivre un galant vous évader sans bruit.Tudieu? comme avec lui votre langue cajole*;Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne école.Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris?Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits? 1500 Et ce galant la nuit vous a donc enhardie.Ah, coquine, en venir à cette perfidie;Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein,Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein,Et qui dès qu'il se sent, par une humeur ingrate, 1505 Cherche à faire du mal à celui qui le flatte. AGNÈS Pourquoi me criez-vous? ARNOLPHE J'ai grand tort en effet. AGNÈS Je n'entends point de mal dans tout ce que j'ai fait. ARNOLPHE Suivre un galant n'est pas une action infâme? AGNÈS C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme; 1510 J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêchéQu'il se faut marier pour ôter le péché. ARNOLPHE Oui, mais pour femme moi je prétendais vous prendre,Et je vous l'avais fait, me semble, assez entendre. AGNÈS Oui, mais à vous parler franchement entre nous, 1515 Il est plus pour cela, selon mon goût, que vous;Chez vous le mariage est fâcheux et pénible,Et vos discours en font une image terrible:Mais las! il le fait lui si rempli de plaisirs,Que de se marier il donne des désirs. ARNOLPHE Ah, c'est que vous l'aimez, traîtresse. AGNÈS 1520 Oui je l'aime. ARNOLPHE Et vous avez le front de le dire à moi-même? AGNÈS Et pourquoi s'il est vrai, ne le dirais-je pas? ARNOLPHE Le deviez-vous aimer*? impertinente. AGNÈS Hélas! Est-ce que j'en puis mais? Lui seul en est la cause, 1525 Et je n'y songeais pas lorsque se fit la chose. ARNOLPHE Mais il fallait chasser cet amoureux désir. AGNÈS Le moyen de chasser ce qui fait du plaisir? ARNOLPHE Et ne saviez-vous pas que c'était me déplaire? AGNÈS Moi, point du tout, quel mal cela vous peut-il faire? ARNOLPHE 1530 Il est vrai, j'ai sujet d'en être réjoui,Vous ne m'aimez donc pas à ce compte? AGNÈS Vous? ARNOLPHE Oui. AGNÈS Hélas, non. ARNOLPHE Comment, non? AGNÈS Voulez-vous que je mente? ARNOLPHE Pourquoi ne m'aimer pas, Madame l'impudente? AGNÈS Mon Dieu, ce n'est pas moi que vous devez blâmer; 1535 Que ne vous êtes-vous comme lui fait aimer?Je ne vous en ai pas empêché, que je pense. ARNOLPHE Je m'y suis efforcé de toute ma puissance;Mais les soins que j'ai pris, je les ai perdus tous. AGNÈS Vraiment il en sait donc là-dessus plus que vous; 1540 Car à se faire aimer il n'a point eu de peine. ARNOLPHE Voyez comme raisonne et répond la vilaine.Peste, une précieuse en dirait-elle plus?Ah! je l'ai mal connue, ou ma foi là-dessusUne sotte en sait plus que le plus habile homme; 1545 Puisque en raisonnement votre esprit se consomme*,La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long tempsJe vous aurai pour lui nourrie à mes dépens? AGNÈS Non, il vous rendra tout jusques au dernier double*. ARNOLPHE Elle a de certains mots où mon dépit redouble, 1550 Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoirLes obligations que vous pouvez m'avoir? AGNÈS Je ne vous en ai pas de si grandes qu'on pense. ARNOLPHE N'est-ce rien que les soins d'élever votre enfance? AGNÈS Vous avez là dedans bien opéré vraiment, 1555 Et m'avez fait en tout instruire joliment;Croit-on que je me flatte, et qu'enfin dans ma têteJe ne juge pas bien que je suis une bête?Moi-même j'en ai honte, et dans l'âge où je suisJe ne veux plus passer pour sotte, si je puis. ARNOLPHE 1560 Vous fuyez l'ignorance, et voulez, quoi qu'il coûte,Apprendre du blondin quelque chose. AGNÈS Sans doute, C'est de lui que je sais ce que je puis savoir*,Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir. ARNOLPHE Je ne sais qui* me tient qu'avec une gourmade 1565 Ma main de ce discours ne venge la bravade.J'enrage quand je vois sa piquante froideur,Et quelques coups de poing satisferaient mon cœur. AGNÈS Hélas, vous le pouvez, si cela vous peut plaire. ARNOLPHE Ce mot, et ce regard désarme* ma colère, 1570 Et produit un retour de tendresse et de cœur,Qui de son action m'efface la noirceur*.Chose étrange! d'aimer, et que pour ces traîtressesLes hommes soient sujets à de telles faiblesses,Tout le monde connaît leur imperfection. 1575 Ce n'est qu'extravagance, et qu'indiscrétion;Leur esprit est méchant, et leur âme fragile,Il n'est rien de plus faible et de plus imbécile,Rien de plus infidèle, et malgré tout celaDans le monde on fait tout pour ces animaux-là. 1580 Hé bien, faisons la paix, va petite traîtresse,Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse;Considère par là l'amour que j'ai pour toi,Et me voyant si bon, en revanche aime-moi. AGNÈS Du meilleur de mon cœur, je voudrais vous complaire, 1585 Que me coûterait-il, si je le pouvais faire? ARNOLPHE Mon pauvre petit bec, tu le peux si tu veux*.(Il fait un soupir.)Écoute seulement ce soupir amoureux,Vois ce regard mourant, contemple ma personne,Et quitte ce morveux, et l'amour qu'il te donne; 1590 C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi,Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.Ta forte passion est d'être brave* et leste,Tu le seras toujours, va, je te le proteste;Sans cesse nuit et jour je te caresserai, 1595 Je te bouchonnerai*, baiserai, mangerai;Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire,Je ne m'explique point, et cela c'est tout dire.(À part.)Jusqu'où la passion peut-elle faire aller?Enfin à mon amour rien ne peut s'égaler; 1600 Quelle preuve veux-tu que je t'en donne, ingrate?Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux?Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux,Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme. AGNÈS 1605 Tenez, tous vos discours ne me touchent point l'âme.Horace avec deux mots en ferait plus que vous. ARNOLPHE Ah! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux;Je suivrai mon dessein, bête trop indocile,Et vous dénicherez à l'instant de la ville; 1610 Vous rebutez mes vœux, et me mettez à bout;Mais un cul de couvent* me vengera de tout.
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