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Actes de l'oeuvre
La Comtesse d'Escarbagnas :

¤Acte 1
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
ºSCÈNE DERNIÈRE
 
 

 

La Comtesse d'Escarbagnas » Acte 1 » SCÈNE II

LA COMTESSE, JULIE.

LA COMTESSE.- Ah! mon Dieu, Madame, vous voilà toute seule? Quelle pitié est-ce là! Toute seule; il me semble que mes gens m'avaient dit que le vicomte était ici.

JULIE.- Il est vrai qu'il y est venu, mais c'est assez pour lui de savoir que vous n'y étiez pas pour l'obliger à sortir.

LA COMTESSE.- Comment il vous a vue?

JULIE.- Oui.

LA COMTESSE.- Et il ne vous a rien dit?

JULIE.- Non, Madame, et il a voulu témoigner par là qu'il est tout entier à vos charmes.

LA COMTESSE.- Vraiment je le veux quereller de cette action, quelque amour que l'on ait pour moi, j'aime que ceux qui m'aiment, rendent ce qu'ils doivent au sexe; et je ne suis point de l'humeur de ces femmes injustes, qui s'applaudissent des incivilités, que leurs amants font aux autres belles.

JULIE.- Il ne faut point, Madame, que vous soyez surprise de son procédé. L'amour que vous lui donnez, éclate dans toutes ses actions, et l'empêche d'avoir des yeux que pour vous.

LA COMTESSE.- Je crois être en état de pouvoir faire naître une passion assez forte, et je me trouve pour cela assez de beauté, de jeunesse, et de qualité, Dieu merci; mais cela n'empêche pas, qu'avec ce que j'inspire, on ne puisse garder de l'honnêteté, et de la complaisance pour les autres. Que faites-vous donc là, laquais? Est-ce qu'il n'y a pas une antichambre, où se tenir, pour venir quand on vous appelle? Cela est étrange, qu'on ne puisse avoir en province un laquais qui sache son monde. À qui est-ce donc que je parle, voulez-vous vous en aller là dehors, petit fripon? Filles approchez.

ANDRÉE.- Que vous plaît-il, Madame?

LA COMTESSE.- Ôtez-moi mes coiffes. Doucement donc maladroite, comme vous me saboulez* la tête avec vos mains pesantes.

ANDRÉE.- Je fais, Madame, le plus doucement que je puis.

LA COMTESSE.- Oui, mais le plus doucement que vous pouvez, est fort rudement pour ma tête, et vous me l'avez déboîtée. Tenez encore ce manchon, ne laissez point traîner tout cela, et portez-le dans ma garde-robe. Hé bien, où va-t-elle, où va-t-elle, que veut-elle faire, cet oison bridé*?

ANDRÉE.- Je veux, Madame, comme vous m'avez dit, porter cela aux garde-robes*.

LA COMTESSE.- Ah! mon Dieu, l'impertinente. Je vous demande pardon, Madame. Je vous ai dit ma garde-robe, grosse bête, c'est-à-dire où sont mes habits.

ANDRÉE.- Est-ce, Madame, qu'à la cour une armoire s'appelle une garde-robe?

LA COMTESSE.- Oui, butorde, on appelle ainsi le lieu où l'on met les habits.

ANDRÉE.- Je m'en ressouviendrai, Madame, aussi bien que de votre grenier, qu'il faut appeler garde-meuble*.

LA COMTESSE.- Quelle peine il faut prendre pour instruire ces animaux-là!

JULIE.- Je les trouve bien heureux, Madame, d'être sous votre discipline.

LA COMTESSE.- C'est une fille de ma mère nourrice, que j'ai mise à la chambre*, et elle est toute neuve encore.

JULIE.- Cela est d'une belle âme, Madame, et il est glorieux de faire ainsi des créatures*.

LA COMTESSE.- Allons, des sièges. Holà, laquais, laquais, laquais. En vérité voilà qui est violent, de ne pouvoir pas avoir un laquais, pour donner des sièges. Filles, laquais, laquais, filles, quelqu'un. Je pense que tous mes gens sont morts, et que nous serons contraintes de nous donner des sièges nous-mêmes.

ANDRÉE.- Que voulez-vous, Madame?

LA COMTESSE.- Il se faut bien égosiller avec vous autres.

ANDRÉE.- J'enfermais votre manchon et vos coiffes dans votre armoi..., dis-je, dans votre garde-robe.

LA COMTESSE.- Appelez-moi ce petit fripon de laquais.

ANDRÉE.- Holà, Criquet.

LA COMTESSE.- Laissez là votre Criquet, bouvière, et appelez laquais.

ANDRÉE.- Laquais donc, et non pas Criquet, venez parler à Madame. Je pense qu'il est sourd, Criq... Laquais, laquais.

CRIQUET.- Plaît-il?

LA COMTESSE.- Où étiez-vous donc, petit coquin?

CRIQUET.- Dans la rue, Madame.

LA COMTESSE.- Et pourquoi dans la rue?

CRIQUET.- Vous m'avez dit d'aller là-dehors.

LA COMTESSE.- Vous êtes un petit impertinent, mon ami, et vous devez savoir que là-dehors, en termes de personnes de qualité, veut dire l'antichambre. Andrée, ayez soin tantôt de faire donner le fouet à ce petit fripon-là, par mon écuyer; c'est un petit incorrigible.

ANDRÉE.- Qu'est-ce que c'est, Madame, que votre écuyer? Est-ce maître Charles* que vous appelez comme cela?

LA COMTESSE.- Taisez-vous, sotte que vous êtes, vous ne sauriez ouvrir la bouche que vous ne disiez une impertinence. Des sièges; et vous, allumez deux bougies dans mes flambeaux d'argent, il se fait déjà tard. Qu'est-ce que c'est donc que vous me regardez toute effarée?

ANDRÉE.- Madame...

LA COMTESSE.- Hé bien, Madame. Qu'y a-t-il?

ANDRÉE.- C'est que...

LA COMTESSE.- Quoi?

ANDRÉE.- C'est que je n'ai point de bougie*.

LA COMTESSE.- Comment, vous n'en avez point?

ANDRÉE.- Non, Madame, si ce n'est des bougies de suif.

LA COMTESSE.- La bouvière. Et où est donc la cire que je fis acheter ces jours passés?

ANDRÉE.- Je n'en ai point vu depuis que je suis céans.

LA COMTESSE.- Ôtez-vous de là, insolente, je vous renvoyerai chez vos parents. Apportez-moi un verre d'eau. Madame.
Faisant des cérémonies pour s'asseoir.

JULIE.- Madame.

LA COMTESSE.- Ah! Madame.

JULIE.- Ah! Madame.

LA COMTESSE.- Mon Dieu, Madame.

JULIE.- Mon Dieu, Madame.

LA COMTESSE.- Oh, Madame.

JULIE.- Oh, Madame.

LA COMTESSE.- Eh, Madame.

JULIE.- Eh, Madame.

LA COMTESSE.- Hé allons donc, Madame.

JULIE.- Hé allons donc, Madame.

LA COMTESSE.- Je suis chez moi, Madame, nous sommes demeurées d'accord de cela. Me prenez-vous pour une provinciale, Madame?

JULIE.- Dieu m'en garde, Madame.

LA COMTESSE *.- Allez, impertinente, je bois avec une soucoupe. Je vous dis que vous m'alliez quérir une soucoupe pour boire.

ANDRÉE.- Criquet, qu'est-ce que c'est qu'une soucoupe?

CRIQUET.- Une soucoupe?

ANDRÉE.- Oui.

CRIQUET.- Je ne sais.

LA COMTESSE.- Vous ne vous grouillez* pas?

ANDRÉE.- Nous ne savons tous deux, Madame, ce que c'est qu'une soucoupe.

LA COMTESSE.- Apprenez que c'est une assiette, sur laquelle on met le verre. Vive Paris pour être bien servie, on vous entend là au moindre coup d'œil. Hé bien vous ai-je dit comme cela, tête de bœuf? C'est dessous qu'il faut mettre l'assiette.

ANDRÉE.- Cela est bien aisé.
Andrée casse le verre.

LA COMTESSE.- Hé bien ne voilà pas l'étourdie? En vérité vous me paierez mon verre.

ANDRÉE.- Hé bien oui, Madame, je le paierai.

LA COMTESSE.- Mais voyez cette maladroite, cette bouvière, cette butorde, cette...

ANDRÉE, s'en allant.- Dame, Madame, si je le paye, je ne veux point être querellée.

LA COMTESSE.- Ôtez-vous de devant mes yeux. En vérité, Madame, c'est une chose étrange que les petites villes, on n'y sait point du tout son monde; et je viens de faire deux ou trois visites, où ils ont pensé me désespérer, par le peu de respect qu'ils rendent à ma qualité.

JULIE.- Où auraient-ils appris à vivre, ils n'ont point fait de voyage à Paris.

LA COMTESSE.- Ils ne laisseraient pas de l'apprendre s'ils voulaient écouter les personnes; mais le mal que j'y trouve, c'est qu'ils veulent en savoir autant que moi, qui ai été deux mois à Paris, et vu toute la cour.

JULIE.- Les sottes gens que voilà.

LA COMTESSE.- Ils sont insuppportables, avec les impertinentes égalités dont ils traitent les gens. Car enfin, il faut qu'il y ait de la subordination dans les choses; et ce qui me met hors de moi, c'est qu'un gentilhomme de ville* de deux jours, ou de deux cents ans, aura l'effronterie de dire qu'il est aussi bien gentilhomme, que feu Monsieur mon mari*, qui demeurait à la campagne, qui avait meute de chiens courants, et qui prenait la qualité de comte dans tous les contrats qu'il passait.

JULIE.- On sait bien mieux vivre à Paris dans ces hôtels, dont la mémoire doit être si chère*. Cet hôtel de Mouhy, Madame, cet hôtel de Lyon, cet hôtel de Hollande*. Les agréables demeures que voilà!

LA COMTESSE.- Il est vrai qu'il y a bien de la différence de ces lieux-là, à tout ceci. On y voit venir du beau monde, qui ne marchande point à vous rendre tous les respects qu'on saurait souhaiter. On ne s'en lève pas, si l'on veut, de dessus son siège; et lorsque l'on veut voir la revue, ou le grand ballet de Psyché*, on est servie à point nommé.

JULIE.- Je pense, Madame, que durant votre séjour à Paris, vous avez fait bien des conquêtes de qualité.

LA COMTESSE.- Vous pouvez bien croire, Madame, que tout ce qui s'appelle les galants de la cour, n'a pas manqué de venir à ma porte, et de m'en conter, et je garde dans ma cassette de leurs billets, qui peuvent faire voir quelles propositions j'ai refusées; il n'est pas nécessaire de vous dire leurs noms, on sait ce qu'on veut dire par les galants de la cour.

JULIE.- Je m'étonne, Madame, que de tous ces grands noms que je devine, vous ayez pu redescendre à un monsieur Tibaudier, le conseiller, et à un monsieur Harpin, le receveur des tailles. La chute est grande, je vous l'avoue. Car pour Monsieur votre vicomte, quoique vicomte de province, c'est toujours un vicomte, et il peut faire un voyage à Paris, s'il n'en a point fait; mais un conseiller, et un receveur, sont des amants un peu bien minces, pour une grande comtesse comme vous.

LA COMTESSE.- Ce sont gens qu'on ménage dans les provinces pour le besoin qu'on en peut avoir, ils servent au moins à remplir les vides de la galanterie, à faire nombre de soupirants; et il est bon, Madame, de ne pas laisser un amant seul maître du terrain, de peur que faute de rivaux, son amour ne s'endorme sur trop de confiance.

JULIE.- Je vous avoue, madame, qu'il y a merveilleusement à profiter de tout ce que vous dites, c'est une école que votre conversation, et j'y viens tous les jours attraper quelque chose.