Le Tartuffe ou l'Imposteur » Acte 5 » SCÈNE III
MADAME PERNELLE, MARIANE, ELMIRE, DORINE, DAMIS, ORGON, CLÉANTE. MADAME PERNELLE Qu'est-ce? J'apprends ici de terribles mystères*. ORGON Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins,Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins. 1645 Je recueille, avec zèle, un homme en sa misère,Je le loge, et le tiens comme mon propre frère;De bienfaits, chaque jour, il est par moi chargé,Je lui donne ma fille, et tout le bien que j'ai;Et dans le même temps, le perfide, l'infâme, 1650 Tente le noir dessein de suborner ma femme ;Et non content encor de ces lâches essais,Il m'ose menacer de mes propres bienfaits,Et veut, à ma ruine, user des avantagesDont le viennent d'armer mes bontés trop peu sages; 1655 Me chasser de mes biens où je l'ai transféré,Et me réduire au point d'où je l'ai retiré. DORINE Le pauvre homme! MADAME PERNELLE Mon fils, je ne puis du tout croire Qu'il ait voulu commettre une action si noire. ORGON Comment? MADAME PERNELLE Les gens de bien sont enviés toujours. ORGON 1660 Que voulez-vous donc dire avec votre discours,Ma mère? MADAME PERNELLE Que chez vous on vit d'étrange sorte, Et qu'on ne sait que trop la haine qu'on lui porte. ORGON Qu'a cette haine à faire avec ce qu'on vous dit? MADAME PERNELLE Je vous l'ai dit cent fois, quand vous étiez petit. 1665 La vertu, dans le monde, est toujours poursuivie;Les envieux mourront, mais non jamais l'envie. ORGON Mais que fait ce discours aux choses d'aujourd'hui? MADAME PERNELLE On vous aura forgé cent sots contes de lui. ORGON Je vous ai dit déjà, que j'ai vu tout moi-même. MADAME PERNELLE 1670 Des esprits médisants, la malice est extrême. ORGON Vous me feriez damner, ma mère. Je vous di,Que j'ai vu de mes yeux, un crime si hardi. MADAME PERNELLE Les langues ont toujours du venin à répandre;Et rien n'est, ici-bas, qui s'en puisse défendre. ORGON 1675 C'est tenir un propos de sens bien dépourvu !Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu,Ce qu'on appelle vu: faut-il vous le rebattreAux oreilles cent fois, et crier comme quatre? MADAME PERNELLE Mon Dieu, le plus souvent, l'apparence déçoit. 1680 Il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit. ORGON J'enrage. MADAME PERNELLE Aux faux soupçons la nature est sujette; Et c'est souvent à mal, que le bien s'interprète. ORGON Je dois interpréter à charitable soin,Le désir d'embrasser ma femme? MADAME PERNELLE Il est besoin, 1685 Pour accuser les gens, d'avoir de justes causes,Et vous deviez attendre à vous voir sûr des choses. ORGON Hé, diantre, le moyen de m'en assurer mieux?Je devais donc, ma mère, attendre qu'à mes yeuxIl eût... Vous me feriez dire quelque sottise. MADAME PERNELLE 1690 Enfin d'un trop pur zèle on voit son âme éprise,Et je ne puis du tout me mettre dans l'esprit,Qu'il ait voulu tenter les choses que l'on dit. ORGON Allez. Je ne sais pas, si vous n'étiez ma mère,Ce que je vous dirais, tant je suis en colère. DORINE 1695 Juste retour, Monsieur, des choses d'ici-bas.Vous ne vouliez point croire, et l'on ne vous croit pas. CLÉANTE Nous perdons des moments, en bagatelles pures,Qu'il faudrait employer à prendre des mesures.Aux menaces du fourbe, on doit ne dormir point*. DAMIS 1700 Quoi! son effronterie irait jusqu'à ce point? ELMIRE Pour moi, je ne crois pas cette instance* possible,Et son ingratitude est ici trop visible. CLÉANTE Ne vous y fiez pas, il aura des ressorts,Pour donner, contre vous, raison à ses efforts; 1705 Et sur moins que cela, le poids d'une cabaleEmbarrasse les gens dans un fâcheux dédale.Je vous le dis encore, armé de ce qu'il a,Vous ne deviez jamais le pousser jusque-là. ORGON Il est vrai, mais qu'y faire? À l'orgueil de ce traître*, 1710 De mes ressentiments je n'ai pas été maître. CLÉANTE Je voudrais de bon cœur, qu'on pût entre vous deux,De quelque ombre de paix, raccommoder les nœuds. ELMIRE Si j'avais su qu'en main il a de telles armes,Je n'aurais pas donné matière à tant d'alarmes,Et mes... ORGON 1715 Que veut cet homme? Allez tôt le savoir ; Je suis bien en état que l'on me vienne voir.
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