Le Dépit Amoureux » Acte IV » SCÈNE PREMIÈRE
ASCAGNE, FROSINE. FROSINE L'aventure est fâcheuse. ASCAGNE Ah! ma chère Frosine, Le sort absolument a conclu ma ruine:Cette affaire venue au point où la voilà 1140 N'est pas assurémént pour en demeurer là*;Il faut qu'elle passe outre; et Lucile et Valère,Surpris des nouveautés d'un semblable mystèreVoudront chercher un jour dans ces obscurités,Par qui* tous mes projets se verront avortés. 1145 Car, enfin, soit qu'Albert ait part au stratagème,Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même;S'il arrive une fois que mon sort éclairciMette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi,Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence: 1150 Son intérêt détruit me laisse à ma naissance*;C'est fait de sa tendresse, et, quelque sentimentOù pour ma fourbe alors pût être mon amant,Voudra-t-il avouer pour épouse une filleQu'il verra sans appui de biens et de famille ? FROSINE 1155 Je trouve que c'est là raisonné comme il faut:Mais ces réflexions devaient venir plus tôt.Qui vous a jusqu'ici caché cette lumière ?Il ne fallait pas être une grande sorcière,Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui, 1160 Tout ce que votre esprit ne voit que d'aujourd'hui.L'action le disait; et dès que je l'ai sue,Je n'en ai prévu guère une meilleure issue. ASCAGNE Que dois-je faire enfin ? Mon trouble est sans pareil:Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil. FROSINE 1165 Ce doit être à vous-même, en prenant votre place*,À me donner conseil dessus cette disgrâce:Car je suis maintenant vous, et vous êtes moi;Conseillez-moi, Frosine, au point où je me voi,Quel remède trouver ? Dites, je vous en prie. ASCAGNE 1170 Hélas! ne traitez point ceci de raillerie;C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis,Que de rire et de voir les termes où j'en suis*. FROSINE Non vraiment, tout de bon; votre ennui m'est sensible*,Et pour vous en tirer je ferais mon possible. 1175 Mais, que puis-je après tout ? Je vois fort peu de jourÀ tourner cette affaire au gré de votre amour. ASCAGNE Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure. FROSINE Ha! pour cela toujours il est assez bonne heure;La mort est un remède à trouver quand on veut, 1180 Et l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut. ASCAGNE Non, non, Frosine, non; si vos conseils propicesNe conduisent mon sort parmi ces précipices,Je m'abandonne toute aux traits du désespoir. FROSINE Savez-vous ma pensée ? Il faut que j'aille voir 1185 La*... Mais Éraste vient qui pourrait nous distraire,Nous pourrons en marchant parler de cette affaire;Allons, retirons-nous.
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