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Actes de l'oeuvre
Les Fâcheux :

¤Acte
¤Acte 1
¤Acte 2
¤Acte 3
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
 
 

 

Les Fâcheux » Acte 3 » SCÈNE II

CARITIDÈS, ÉRASTE.


CARITIDÈS
Monsieur, le temps répugne à l'honneur de vous voir*.
Le matin est plus propre à rendre un tel devoir:
Mais de vous rencontrer il n'est pas bien facile;
620 Car vous dormez toujours, ou vous êtes en ville;
Au moins, Messieurs vos gens me l'assurent ainsi,
Et j'ai, pour vous trouver, pris l'heure que voici.
Encore est-ce un grand heur, dont, le destin m'honore;
Car deux moments plus tard, je vous manquais encore.

ÉRASTE
625 Monsieur, souhaitez-vous quelque chose de moi?

CARITIDÈS
Je m'acquitte, Monsieur, de ce que je vous doi;
Et vous viens... Excusez l'audace, qui m'inspire,
Si...

ÉRASTE
Sans tant de façons, qu'avez-vous à me dire?

CARITIDÈS
Comme le rang, l'esprit, la générosité,
Que chacun vante en vous...

ÉRASTE
630 Oui, je suis fort vanté,
Passons, Monsieur.

CARITIDÈS
Monsieur, c'est une peine extrême,
Lorsqu'il faut à quelqu'un se produire soi-même,
Et toujours, près des grands, on doit être introduit,
Par des gens, qui de nous fassent un peu de bruit;
635 Dont la bouche écoutée, avecque poids débite,
Ce qui peut faire voir notre petit mérite:
Enfin j'aurais voulu que des gens bien instruits*,
Vous eussent pu, Monsieur, dire ce que je suis.

ÉRASTE
Je vois assez, Monsieur, ce que vous pouvez être,
640 Et votre seul abord le peut faire connaître.

CARITIDÈS
Oui, je suis un savant charmé de vos vertus.
Non pas de ces savants dont le nom n'est qu'en us:
Il n'est rien si commun, qu'un nom à la latine.
Ceux qu'on habille en grec ont bien meilleure mine;
645 Et pour en avoir un qui se termine en es,
Je me fais appeler Monsieur Caritidès*.

ÉRASTE
Monsieur Caritidès soit, qu'avez-vous à dire?

CARITIDÈS
C'est un placet, Monsieur, que je voudrais vous lire;
Et que dans la posture, où vous met votre emploi,
650 J'ose vous conjurer de présenter au Roi.

ÉRASTE
Hé! Monsieur, vous pouvez le présenter vous-même.

CARITIDÈS
Il est vrai que le Roi fait cette grâce extrême;
Mais par ce même excès de ses rares bontés,
Tant de méchants placets, Monsieur, sont présentés,
655 Qu'ils étouffent les bons, et l'espoir où je fonde*,
Est qu'on donne le mien, quand le Prince est sans monde.

ÉRASTE
Eh bien vous le pouvez, et prendre votre temps.

CARITIDÈS
Ah Monsieur! les huissiers sont de terribles gens.
Ils traitent les savants de faquins à nasardes;
660 Et je n'en puis venir qu'à la salle des gardes.
Les mauvais traitements qu'il me faut endurer,
Pour jamais de la cour me feraient retirer,
Si je n'avais conçu l'espérance certaine,
Qu'auprès de notre Roi vous serez mon Mécène*.
665 Oui, votre crédit m'est un moyen assuré...

ÉRASTE
Eh bien donnez-moi donc, je le présenterai.

CARITIDÈS
Le voici; mais au moins oyez-en la lecture.

ÉRASTE
Non...

CARITIDÈS
C'est pour être instruit, Monsieur, je vous conjure.

AU ROI.

SIRE,


Votre très humble, très obéissant, très fidèle, et très savant sujet et serviteur, Caritidès, Français de nation, Grec de profession; ayant considéré les grands et notables abus, qui se commettent aux inscriptions des enseignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, et autres lieux de votre bonne ville de Paris; en ce que certains ignorants compositeurs desdites inscriptions, renversent, par une barbare, pernicieuse et détestable orthographe, toute sorte de sens et raison*, sans aucun égard d'étymologie, analogie, énergie, ni allégorie quelconque; au grand scandale de la république des lettres, et de la nation française, qui se décrie et déshonore par lesdits abus, et fautes grossières, envers les étrangers; et notamment envers les Allemands, curieux lecteurs, et inspectateurs* desdites inscriptions.


ÉRASTE
Ce placet est fort long, et pourrait bien fâcher...

CARITIDÈS
670 Ah! Monsieur pas un mot ne s'en peut retrancher.

ÉRASTE
Achevez promptement.

CARITIDÈS continue.


Supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le bien de son État, et la gloire de son empire, une charge de contrôleur, intendant, correcteur, réviseur, et restaurateur général desdites inscriptions; et d'icelle honorer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir, que des grands et signalés services qu'il a rendus à l'État, et à Votre Majesté, en faisant l'anagramme de Votre dite Majesté en français, latin, grec, hébreu, syriaque, chaldéen, arabe...


ÉRASTE, l'interrompant.
Fort bien: donnez-le vite, et faites la retraite:
Il sera vu du Roi, c'est une affaire faite.

CARITIDÈS
Hélas! Monsieur, c'est tout que montrer mon placet.
Si le Roi le peut voir, je suis sûr de mon fait:
675 Car comme sa justice en toute chose est grande,
Il ne pourra jamais refuser ma demande*.
Au reste, pour porter au ciel votre renom,
Donnez-moi par écrit votre nom, et surnom*,
J'en veux faire un poème, en forme d'acrostiche,
680 Dans les deux bouts du vers, et dans chaque hémistiche.

ÉRASTE
Oui, vous l'aurez demain, Monsieur Caritidès.
Ma foi de tels savants sont des ânes bien faits.
J'aurais dans d'autres temps bien ri de sa sottise...