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Actes de l'oeuvre
Amphitryon :

¤Acte 1
¤Acte 2
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
¤Acte 3
 
 

 

Amphitryon » Acte 2 » SCÈNE PREMIÈRE

AMPHITRYON, SOSIE.


AMPHITRYON
Viens çà, bourreau, viens çà. Sais-tu, maître fripon,
690 Qu'à te faire assommer, ton discours peut suffire?
Et que pour te traiter comme je le désire,
Mon courroux n'attend qu'un bâton?

SOSIE
Si vous le prenez sur ce ton,
Monsieur, je n'ai plus rien à dire;
695 Et vous aurez toujours raison.

AMPHITRYON
Quoi! tu veux me donner pour des vérités, traître,
Des contes que je vois d'extravagance outrés?

SOSIE
Non, je suis le valet, et vous êtes le maître;
Il n'en sera, Monsieur, que ce que vous voudrez.

AMPHITRYON
700 Çà, je veux étouffer le courroux qui m'enflamme,
Et, tout du long, t'ouïr sur ta commission.
Il faut, avant que voir ma femme,
Que je débrouille ici cette confusion.
Rappelle tous tes sens; rentre bien dans ton âme;
705 Et réponds, mot pour mot, à chaque question.

SOSIE
Mais, de peur d'incongruité,
Dites-moi, de grâce, à l'avance,
De quel air il vous plaît que ceci soit traité.
Parlerai-je, Monsieur, selon ma conscience;
710 Ou comme auprès des grands on le voit usité?
Faut-il dire la vérité;
Ou bien user de complaisance?

AMPHITRYON
Non, je ne te veux obliger,
Qu'à me rendre de tout un compte fort sincère.

SOSIE
715 Bon, c'est assez; laissez-moi faire:
Vous n'avez qu'à m'interroger.

AMPHITRYON
Sur l'ordre que tantôt je t'avais su prescrire?

SOSIE
Je suis parti; les cieux, d'un noir crêpe voilés,
Pestant fort contre vous dans ce fâcheux martyre,
720 Et maudissant vingt fois l'ordre dont vous parlez.

AMPHITRYON
Comment, coquin?

SOSIE
Monsieur, vous n'avez rien qu'à dire,
Je mentirai, si vous voulez.

AMPHITRYON
Voilà comme un valet montre pour nous du zèle.
Passons. Sur les chemins, que t'est-il arrivé?

SOSIE
725 D'avoir une frayeur mortelle,
Au moindre objet que j'ai trouvé.

AMPHITRYON
Poltron!

SOSIE
En nous formant, Nature a ses caprices.
Divers penchants en nous elle fait observer,
Les uns à s'exposer trouvent mille délices:
730 Moi, j'en trouve à me conserver.

AMPHITRYON
Arrivant au logis?

SOSIE
J'ai devant notre porte,
En moi-même voulu répéter un petit,
Sur quel ton, et de quelle sorte,
Je ferais du combat le glorieux récit.

AMPHITRYON
Ensuite?

SOSIE
735 On m'est venu troubler, et mettre en peine.

AMPHITRYON
Et qui?

SOSIE
Sosie, un moi, de vos ordres jaloux,
Que vous avez du port envoyé vers Alcmène,
Et qui de nos secrets a connaissance pleine,
Comme le moi qui parle à vous.

AMPHITRYON
Quels contes!

SOSIE
740 Non, Monsieur, c'est la vérité pure.
Ce moi, plutôt que moi, s'est au logis trouvé:
Et j'étais venu, je vous jure,
Avant que je fusse arrivé.

AMPHITRYON
D'où peut procéder, je te prie,
745 Ce galimatias maudit?
Est-ce songe? est-ce ivrognerie?
Aliénation d'esprit?
Ou méchante plaisanterie?

SOSIE
Non, c'est la chose comme elle est,
750 Et point du tout conte frivole.
Je suis homme d'honneur, j'en donne ma parole,
Et vous m'en croirez, s'il vous plaît.
Je vous dis que croyant n'être qu'un seul Sosie,
Je me suis trouvé deux chez nous.
755 Et que de ces deux moi piqués de jalousie,
L'un est à la maison, et l'autre est avec vous.
Que le moi que voici, chargé de lassitude,
A trouvé l'autre moi, frais, gaillard et dispos,
Et n'ayant d'autre inquiétude,
760 Que de battre et casser des os.

AMPHITRYON
Il faut être, je le confesse,
D'un esprit bien posé, bien tranquille, bien doux,
Pour souffrir qu'un valet, de chansons me repaisse.

SOSIE
Si vous vous mettez en courroux,
765 Plus de conférence entre nous;
Vous savez que d'abord tout cesse.

AMPHITRYON
Non, sans emportement je te veux écouter.
Je l'ai promis. Mais dis, en bonne conscience,
Au mystère nouveau que tu me viens conter,
770 Est-il quelque ombre d'apparence*?

SOSIE
Non; vous avez raison; et la chose à chacun,
Hors de créance doit paraître.
C'est un fait à n'y rien connaître;
Un conte extravagant, ridicule, importun;
775 Cela choque le sens commun:
Mais cela ne laisse pas d'être.

AMPHITRYON
Le moyen d'en rien croire, à moins qu'être insensé?

SOSIE
Je ne l'ai pas cru moi, sans une peine extrême.
Je me suis, d'être deux, senti l'esprit blessé;
780 Et longtemps, d'imposteur, j'ai traité ce moi-même.
Mais à me reconnaître, enfin il m'a forcé:
J'ai vu que c'était moi, sans aucun stratagème.
Des pieds, jusqu'à la tête, il est comme moi fait;
Beau, l'air noble, bien pris, les manières charmantes:
785 Enfin deux gouttes de lait
Ne sont pas plus ressemblantes;
Et n'était que ses mains sont un peu trop pesantes,
J'en serais fort satisfait.

AMPHITRYON
À quelle patience il faut que je m'exhorte!
790 Mais enfin, n'es-tu pas entré dans la maison?

SOSIE
Bon, entré! Hé de quelle sorte?
Ai-je voulu jamais entendre de raison?
Et ne me suis-je pas interdit notre porte?

AMPHITRYON
Comment donc?

SOSIE
Avec un bâton;
795 Dont mon dos sent encore une douleur très forte.

AMPHITRYON
On t'a battu?

SOSIE
Vraiment!

AMPHITRYON
Et qui?

SOSIE
Moi.

AMPHITRYON
Toi, te battre?

SOSIE
Oui, moi; non pas le moi d'ici,
Mais le moi du logis, qui frappe comme quatre.

AMPHITRYON
Te confonde le Ciel, de me parler ainsi!

SOSIE
800 Ce ne sont point des badinages.
Le moi que j'ai trouvé tantôt,
Sur le moi qui vous parle, a de grands avantages:
Il a le bras fort, le cœur haut;
J'en ai reçu des témoignages:
805 Et ce diable de moi m'a rossé comme il faut,
C'est un drôle qui fait des rages*.

AMPHITRYON
Achevons. As-tu vu ma femme?

SOSIE
Non.

AMPHITRYON
Pourquoi?

SOSIE
Par une raison assez forte.

AMPHITRYON
Qui t'a fait y manquer, maraud; explique-toi?

SOSIE
810 Faut-il le répéter vingt fois de même sorte?
Moi, vous dis-je; ce moi plus robuste que moi;
Ce moi, qui s'est de force emparé de la porte.
Ce moi, qui m'a fait filer doux:
Ce moi, qui le seul moi veut être:
815 Ce moi, de moi-même jaloux:
Ce moi vaillant, dont le courroux,
Au moi poltron s'est fait connaître:
Enfin ce moi qui suis chez nous,
Ce moi qui s'est montré mon maître;
820 Ce moi qui m'a roué de coups.

AMPHITRYON
Il faut que ce matin, à force de trop boire,
Il se soit troublé le cerveau.

SOSIE
Je veux être pendu, si j'ai bu que de l'eau:
À mon serment, on m'en peut croire.

AMPHITRYON
825 Il faut donc qu'au sommeil, tes sens se soient portés?
Et qu'un songe fâcheux, dans ses confus mystères,
T'ait fait voir toutes les chimères,
Dont tu me fais des vérités.

SOSIE
Tout aussi peu. Je n'ai point sommeillé;
830 Et n'en ai même aucune envie.
Je vous parle bien éveillé,
J'étais bien éveillé ce matin, sur ma vie.
Et bien éveillé même était l'autre Sosie,
Quand il m'a si bien étrillé.

AMPHITRYON
835 Suis-moi, je t'impose silence,
C'est trop me fatiguer l'esprit.
Et je suis un vrai fou, d'avoir la patience,
D'écouter d'un valet, les sottises qu'il dit.

SOSIE
Tous les discours sont des sottises,
840 Partant d'un homme sans éclat.
Ce seraient paroles exquises,
Si c'était un grand qui parlât.

AMPHITRYON
Entrons, sans davantage attendre.
Mais Alcmène paraît avec tous ses appas:
845 En ce moment, sans doute, elle ne m'attend pas,
Et mon abord la va surprendre.