Monsieur de Pourceaugnac » Acte 1 » SCÈNE III
MONSIEUR DE POURCEAUGNAC se tourne du côté d'où il vient, comme parlant à des gens qui le suivent, SBRIGANI.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Hé bien, quoi? qu'est-ce? qu'y a-t-il? Au diantre* soit la sotte ville, et les sottes gens qui y sont: ne pouvoir faire un pas sans trouver des nigauds qui vous regardent, et se mettent à rire! Eh, Messieurs les badauds, faites vos affaires, et laissez passer les personnes sans leur rire au nez. Je me donne au diable, si je ne baille un coup de poing au premier que je verrai rire.SBRIGANI.- Qu'est-ce que c'est, Messieurs? que veut dire cela? à qui en avez-vous? faut-il se moquer ainsi des honnêtes étrangers qui arrivent ici?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Voilà un homme raisonnable, celui-là.SBRIGANI.- Quel procédé est le vôtre? et qu'avez-vous à rire?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Fort bien.SBRIGANI.- Monsieur a-t-il quelque chose de ridicule en soi?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Oui.SBRIGANI.- Est-il autrement que les autres?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Suis-je tortu*, ou bossu?SBRIGANI.- Apprenez à connaître les gens.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est bien dit.SBRIGANI.- Monsieur est d'une mine à respecter.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Cela est vrai.SBRIGANI.- Personne de condition.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Oui, gentilhomme limosin.SBRIGANI.- Homme d'esprit.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Qui a étudié en droit.SBRIGANI.- Il vous fait trop d'honneur, de venir dans votre ville.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Sans doute.SBRIGANI.- Monsieur n'est point une personne à faire rire.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Assurément.SBRIGANI.- Et quiconque rira de lui, aura affaire à moi.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Monsieur, je vous suis infiniment obligé.SBRIGANI.- Je suis fâché, Monsieur, de voir recevoir de la sorte une personne comme vous, et je vous demande pardon pour la ville.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je suis votre serviteur.SBRIGANI.- Je vous ai vu ce matin, Monsieur, avec le coche, lorsque vous avez déjeuné; et la grâce avec laquelle vous mangiez votre pain, m'a fait naître d'abord de l'amitié pour vous: et comme je sais que vous n'êtes jamais venu en ce pays, et que vous y êtes tout neuf, je suis bien aise de vous avoir trouvé, pour vous offrir mon service à cette arrivée, et vous aider à vous conduire parmi ce peuple, qui n'a pas parfois pour les honnêtes gens toute la considération qu'il faudrait.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est trop de grâce que vous me faites.SBRIGANI.- Je vous l'ai déjà dit; du moment que je vous ai vu, je me suis senti pour vous de l'inclination.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je vous suis obligé.SBRIGANI.- Votre physionomie m'a plu.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ce m'est beaucoup d'honneur.SBRIGANI.- J'y ai vu quelque chose d'honnête.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je suis votre serviteur.SBRIGANI.- Quelque chose d'aimable.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ah, ah.SBRIGANI.- De gracieux.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ah, ah.SBRIGANI.- De doux.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ah, ah.SBRIGANI.- De majestueux.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ah, ah.SBRIGANI.- De franc.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ah, ah.SBRIGANI.- Et de cordial.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ah, ah.SBRIGANI.- Je vous assure que je suis tout à vous.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je vous ai beaucoup d'obligation.SBRIGANI.- C'est du fond du cœur que je parle.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je le crois.SBRIGANI.- Si j'avais l'honneur d'être connu de vous, vous sauriez que je suis un homme tout à fait sincère.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je n'en doute point.SBRIGANI.- Ennemi de la fourberie.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- J'en suis persuadé.SBRIGANI.- Et qui n'est pas capable de déguiser ses sentiments.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est ma pensée.SBRIGANI.- Vous regardez mon habit qui n'est pas fait comme les autres; mais je suis originaire de Naples, à votre service, et j'ai voulu conserver un peu et la manière de s'habiller, et la sincérité de mon pays.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est fort bien fait: pour moi, j'ai voulu me mettre à la mode de la cour pour la campagne*.SBRIGANI.- Ma foi, cela vous va mieux qu'à tous nos courtisans.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est ce que m'a dit mon tailleur; l'habit est propre* et riche, et il fera du bruit ici.SBRIGANI.- Sans doute. N'irez-vous pas au Louvre?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Il faudra bien aller faire ma cour.SBRIGANI.- Le Roi sera ravi de vous voir.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Je le crois.SBRIGANI.- Avez-vous arrêté un logis?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Non, j'allais en chercher un.SBRIGANI.- Je serai bien aise d'être avec vous pour cela, et je connais tout ce pays-ci.
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