Psyché » Acte 5 » SCÈNE V
VÉNUS, L'AMOUR, PSYCHÉ évanouie. VÉNUS La menace est respectueuse,Et d'un enfant qui fait le révolté 1875 La colère présomptueuse... L'AMOUR Je ne suis plus enfant, et je l'ai trop été,Et ma colère est juste autant qu'impétueuse. VÉNUS L'impétuosité s'en devrait retenir,Et vous pourriez vous souvenir 1880 Que vous me devez la naissance. L'AMOUR Et vous pourriez n'oublier pasQue vous avez un cœur et des appasQui relèvent de ma puissance:Que mon arc de la vôtre est l'unique soutien, 1885 Que sans mes traits elle n'est rien,Et que si les cœurs les plus bravesEn triomphe par vous se sont laissé traîner,Vous n'avez jamais fait d'esclavesQue ceux qu'il m'a plu d'enchaîner. 1890 Ne me vantez donc plus ces droits de la naissanceQui tyrannisent mes désirs;Et si vous ne voulez perdre mille soupirs,Songez en me voyant à la reconnaissance,Vous qui tenez de ma puissance 1895 Et votre gloire et vos plaisirs. VÉNUS Comment l'avez-vous défendue,Cette gloire dont vous parlez?Comment me l'avez-vous rendue?Et quand vous avez vu mes autels désolés, 1900 Mes temples violés,Mes honneurs ravalés,Si vous avez pris part à tant d'ignominie,Comment en a-t-on vu puniePsyché qui me les a volés? 1905 Je vous ai commandé de la rendre charméeDu plus vil de tous les mortels,Qui ne daignât répondre à son âme enflamméeQue par des rebuts éternels,Par les mépris les plus cruels, 1910 Et vous-même l'avez aimée!Vous avez contre moi séduit des immortels,C'est pour vous qu'à mes yeux les Zéphyrs l'ont cachée,Qu'Apollon même subornéPar un oracle adroitement tourné 1915 Me l'avait si bien arrachée,Que si sa curiositéPar une aveugle défianceNe l'eût rendue à ma vengeance,Elle échappait à mon cœur irrité. 1920 Voyez l'état où votre amour l'a mise,Votre Psyché: son âme va partir,Voyez, et si la vôtre en est encore éprise,Recevez son dernier soupir.Menacez, bravez-moi, cependant qu'elle expire: 1925 Tant d'insolence vous sied bien,Et je dois endurer, quoi qu'il vous plaise dire,Moi qui sans vos traits ne puis rien. L'AMOUR Vous ne pouvez que trop, Déesse impitoyable,Le Destin l'abandonne à tout votre courroux: 1930 Mais soyez moins inexorableAux prières, aux pleurs d'un fils à vos genoux.Ce doit vous être un spectacle assez doux,De voir d'un œil Psyché mourante,Et de l'autre ce fils d'une voix suppliante 1935 Ne vouloir plus tenir son bonheur que de vous.Rendez-moi ma Psyché, rendez-lui tous ses charmes,Rendez-la, Déesse, à mes larmes,Rendez à mon amour, rendez à ma douleurLe charme de mes yeux, et le choix de mon cœur. VÉNUS 1940 Quelque amour que Psyché vous donne,De ses malheurs par moi n'attendez pas la fin:Si le Destin me l'abandonne,Je l'abandonne à son destin.Ne m'importunez plus, et dans cette infortune 1945 Laissez-la sans Vénus triompher, ou périr. L'AMOUR Hélas! si je vous importune,Je ne le ferais pas, si je pouvais mourir. VÉNUS Cette douleur n'est pas commune,Qui force un immortel à souhaiter la mort. L'AMOUR 1950 Voyez par son excès si mon amour est fort.Ne lui ferez-vous grâce aucune? VÉNUS Je vous l'avoue, il me touche le cœur,Votre amour, il désarme, il fléchit ma rigueur:Votre Psyché reverra la lumière. L'AMOUR 1955 Que je vous vais partout faire donner d'encens! VÉNUS Oui, vous la reverrez dans sa beauté première:Mais de vos vœux reconnaissantsJe veux la déférence entière.Je veux qu'un vrai respect laisse à mon amitié 1960 Vous choisir une autre moitié. L'AMOUR Et moi, je ne veux plus de grâce,Je reprends toute mon audace,Je veux Psyché, je veux sa foi,Je veux qu'elle revive et revive pour moi, 1965 Et tiens indifférent que votre haine lasse,En faveur d'une autre se passe.Jupiter qui paraît va juger entre nousDe mes emportements, et de votre courroux. Après quelques éclairs et roulements de tonnerre, Jupiter paraît en l'air sur son aigle.
|