Monsieur de Pourceaugnac » Acte 2 » SCÈNE VI
JULIE, ORONTE, MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.JULIE.- On vient de me dire, mon père, que Monsieur de Pourceaugnac est arrivé. Ah le voilà sans doute, et mon cœur me le dit. Qu'il est bien fait! qu'il a bon air! et que je suis contente d'avoir un tel époux! Souffrez que je l'embrasse, et que je lui témoigne...ORONTE.- Doucement, ma fille, doucement.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Tudieu, quelle galante! Comme elle prend feu d'abord!ORONTE.- Je voudrais bien savoir, Monsieur de Pourceaugnac, par quelle raison vous venez...Julie s'approche de M. de Pourceaugnac, le regarde d'un air languissant, et lui veut prendre la main.JULIE.- Que je suis aise de vous voir! et que je brûle d'impatience...ORONTE.- Ah, ma fille, ôtez-vous de là, vous dis-je.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Ho, ho, quelle égrillarde!ORONTE.- Je voudrais bien, dis-je, savoir par quelle raison, s'il vous plaît, vous avez la hardiesse de...MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Vertu de ma vie!ORONTE, à part.- Encore, Qu'est-ce à dire cela?JULIE.- Ne voulez-vous pas que je caresse l'époux que vous m'avez choisi?ORONTE.- Non: rentrez là-dedans.JULIE.- Laissez-moi le regarder.ORONTE.- Rentrez, vous dis-je.JULIE.- Je veux demeurer là, s'il vous plaît.ORONTE.- Je ne veux pas, moi; et si tu ne rentres tout à l'heure, je...JULIE.- Hé bien, je rentre.ORONTE.- Ma fille est une sotte, qui ne sait pas les choses.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Comme nous lui plaisons!ORONTE.- Tu ne veux pas te retirer?JULIE.- Quand est-ce donc que vous me marierez avec Monsieur?ORONTE.- Jamais; et tu n'es pas pour lui.JULIE.- Je le veux avoir, moi, puisque vous me l'avez promis.ORONTE.- Si je te l'ai promis, je te le dépromets.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Elle voudrait bien me tenir.JULIE.- Vous avez beau faire, nous serons mariés ensemble en dépit de tout le monde.ORONTE.- Je vous en empêcherai bien tous deux, je vous assure. Voyez un peu quel vertigo* lui prend.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Mon Dieu, notre beau-père prétendu, ne vous fatiguez point tant; on n'a pas envie de vous enlever votre fille, et vos grimaces n'attraperont rien.ORONTE.- Toutes les vôtres n'auront pas grand effet.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Vous êtes-vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac soit un homme à acheter chat en poche? Et qu'il n'ait pas là-dedans quelque morceau de judiciaire* pour se conduire, pour se faire informer de l'histoire du monde, et voir en se mariant, si son honneur a bien toutes ses sûretés?ORONTE.- Je ne sais pas ce que cela veut dire: mais vous êtes-vous mis dans la tête, qu'un homme de soixante et trois ans ait si peu de cervelle, et considère si peu sa fille, que de la marier avec un homme qui a ce que vous savez, et qui a été mis chez un médecin pour être pansé?MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- C'est une pièce que l'on m'a faite, et je n'ai aucun mal.ORONTE.- Le médecin me l'a dit lui-même.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Le médecin en a menti; je suis gentilhomme, et je le veux voir l'épée à la main.ORONTE.- Je sais ce que j'en dois croire, et vous ne m'abuserez pas là-dessus, non plus que sur les dettes que vous avez assignées sur le mariage de ma fille.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Quelles dettes?ORONTE.- La feinte ici est inutile, et j'ai vu le marchand flamand, qui, avec les autres créanciers, a obtenu depuis huit mois sentence contre vous.MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.- Quel marchand flamand? quels créanciers? quelle sentence obtenue contre moi?ORONTE.- Vous savez bien ce que je veux dire.
|