Le bourgeois gentilhomme » Acte 2 » SCÈNE II
MAÎTRE D'ARMES, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE À DANSER, MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS.MAÎTRE D'ARMES, après lui avoir mis le fleuret à la main.- Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule gauche plus quartée*. La tête droite. Le regard assuré. Avancez. Le corps ferme. Touchez-moi l'épée de quarte, et achevez de même. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez de pied ferme. Un saut* en arrière. Quand vous portez la botte*, Monsieur, il faut que l'épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l'épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Un saut* en arrière. En garde, Monsieur, en garde.Le Maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant, "En garde".MONSIEUR JOURDAIN.- Euh?MAÎTRE DE MUSIQUE.- Vous faites des merveilles.MAÎTRE D'ARMES.- Je vous l'ai déjà dit; tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir: et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors.MONSIEUR JOURDAIN.- De cette façon donc un homme, sans avoir du cœur*, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué.MAÎTRE D'ARMES.- Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration?MONSIEUR JOURDAIN.- Oui.MAÎTRE D'ARMES.- Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un État*, et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la...MAÎTRE À DANSER.- Tout beau, Monsieur le tireur d'armes. Ne parlez de la danse qu'avec respect.MAÎTRE DE MUSIQUE.- Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la musique.MAÎTRE D'ARMES.- Vous êtes de plaisantes gens, de vouloir comparer vos sciences à la mienne!MAÎTRE DE MUSIQUE.- Voyez un peu l'homme d'importance!MAÎTRE À DANSER.- Voilà un plaisant animal, avec son plastron!MAÎTRE D'ARMES.- Mon petit maître à danser, je vous ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferais chanter de la belle manière.MAÎTRE À DANSER.- Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier.MONSIEUR JOURDAIN, au Maître à danser.- Ètes-vous fou de l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative?MAÎTRE À DANSER.- Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce, et de sa quarte.MONSIEUR JOURDAIN.- Tout doux, vous dis-je.MAÎTRE D'ARMES.- Comment? petit impertinent.MONSIEUR JOURDAIN.- Eh mon Maître d'armes.MAÎTRE À DANSER.- Comment? grand cheval de carrosse.MONSIEUR JOURDAIN.- Eh mon Maître à danser.MAÎTRE D'ARMES.- Si je me jette sur vous...MONSIEUR JOURDAIN.- Doucement.MAÎTRE À DANSER.- Si je mets sur vous la main...MONSIEUR JOURDAIN.- Tout beau.MAÎTRE D'ARMES.- Je vous étrillerai d'un air...MONSIEUR JOURDAIN.- De grâce.MAÎTRE À DANSER.- Je vous rosserai d'une manière...MONSIEUR JOURDAIN.- Je vous prie.MAÎTRE DE MUSIQUE.- Laissez-nous un peu lui apprendre à parler.MONSIEUR JOURDAIN.- Mon Dieu. arrêtez-vous.
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