Le Malade imaginaire » Acte 2 » SCÈNE IX
BÉRALDE, ARGAN.BÉRALDE.- Hé bien, mon frère, qu'est-ce, comment vous portez-vous?ARGAN.- Ah! mon frère, fort mal.BÉRALDE.- Comment "fort mal"?ARGAN.- Oui, je suis dans une faiblesse si grande, que cela n'est pas croyable.BÉRALDE.- Voilà qui est fâcheux.ARGAN.- Je n'ai pas seulement la force de pouvoir parler.BÉRALDE.- J'étais venu ici, mon frère, vous proposer un parti pour ma nièce Angélique.ARGAN, parlant avec emportement, et se levant de sa chaise.- Mon frère, ne me parlez point de cette coquine-là. C'est une friponne, une impertinente, une effrontée, que je mettrai dans un couvent avant qu'il soit deux jours.BÉRALDE.- Ah! voilà qui est bien. Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà, nous parlerons d'affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement, que j'ai rencontré, qui dissipera votre chagrin, et vous rendra l'âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Égyptiens, vêtus en Mores, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une ordonnance de Monsieur Purgon. Allons.SECOND INTERMÈDELe frère du Malade imaginaire, lui amène pour le divertir, plusieurs Égyptiens et Égyptiennes vêtus en Mores, qui font des danses entremêlées de chansons.PREMIÈRE FEMME MOREProfitez du printempsDe vos beaux ans,Aimable jeunesse;Profitez du printempsDe vos beaux ans,Donnez-vous à la tendresse.Les plaisirs les plus charmants,Sans l'amoureuse flamme,Pour contenter une âmeN'ont point d'attraits assez puissants.Profitez du printempsDe vos beaux ans,Aimable jeunesse;Profitez du printempsDe vos beaux ans,Donnez-vous à la tendresse.Ne perdez point ces précieux moments;La beauté passe,Le temps l'efface,L'âge de glaceVient à sa place,Qui nous ôte le goût de ces doux passe-temps.Profitez du printempsDe vos beaux ans,Aimable jeunesse;Profitez du printempsDe vos beaux ans,Donnez-vous à la tendresse.SECONDE FEMME MOREQuand d'aimer on nous presse,À quoi songez-vous?Nos cœurs, dans la jeunesseN'ont vers la tendresseQu'un penchant trop doux;L'amour a pour nous prendreDe si doux attraits,Que de soi, sans attendre,On voudrait se rendreÀ ses premiers traits:Mais tout ce qu'on écoute,Des vives douleursEt des pleurs qu'il nous coûte,Fait qu'on en redouteToutes les douceurs.TROISIÈME FEMME MOREIl est doux, à notre âgeD'aimer tendrementUn amantQui s'engageMais s'il est volage,Hélas! quel tourment!QUATRIÈME FEMME MOREL'amant qui se dégageN'est pas le malheur,La douleurEt la rage;C'est que le volageGarde notre cœur.SECONDE FEMME MOREQuel parti faut-il prendrePour nos jeunes cœurs?QUATRIÈME FEMME MOREDevons-nous nous y rendreMalgré ses rigueurs?ENSEMBLEOui, suivons ses ardeurs,Ses transports, ses caprices,Ses douces langueurs;S'il a quelques supplices,Il a cent délicesQui charment les cœurs.ENTRÉE DE BALLETTous les Mores dansent ensemble, et font sauter des singes qu'ils ont amenés avec eux.
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