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Actes de l'oeuvre
Les amants magnifiques :

¤Prologue
¤Acte I
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
¤Acte II
¤Acte III
¤Acte IV
¤Acte V
 
 

 

Les amants magnifiques » Acte I » SCÈNE II

ARISTIONE, IPHICRATE, TIMOCLÈS, SOSTRATE, ANAXARQUE, CLÉON, CLITIDAS.

ARISTIONE. - Prince, je ne puis me lasser de le dire, il n'est point de spectacle au monde qui puisse le disputer en magnificence à celui que vous venez de nous donner. Cette fête a eu des ornements qui l'emportent sans doute* sur tout ce que l'on saurait voir, et elle vient de produire à nos yeux quelque chose de si noble, de si grand, et de si majestueux, que le Ciel même ne saurait aller au delà, et je puis dire assurément qu'il n'y a rien dans l'univers qui s'y puisse égaler.

TIMOCLÈS. - Ce sont des ornements dont on ne peut pas espérer que toutes les fêtes soient embellies, et je dois fort trembler, Madame, pour la simplicité du petit divertissement que je m'apprête à vous donner dans le bois de Diane.

ARISTIONE. - Je crois que nous n'y verrons rien que de fort agréable, et certes il faut avouer que la campagne a lieu de nous paraître belle, et que nous n'avons pas le temps de nous ennuyer dans cet agréable séjour qu'ont célébré tous les poètes sous le nom de Tempé. Car enfin, sans parler des plaisirs de la chasse que nous y prenons à toute heure, et de la solennité des jeux Pythiens que l'on y célèbre tantôt, vous prenez soin l'un et l'autre de nous y combler de tous les divertissements qui peuvent charmer les chagrins des plus mélancoliques. D'où vient, Sostrate, qu'on ne vous a point vu dans notre promenade?

SOSTRATE. - Une petite indisposition, Madame, m'a empêché de m'y trouver.

IPHICRATE. - Sostrate est de ces gens, Madame, qui croient qu'il ne sied pas bien d'être curieux comme les autres, et il est beau d'affecter de ne pas courir où tout le monde court.

SOSTRATE. - Seigneur, l'affectation n'a guère de part à tout ce que je fais, et sans vous faire compliment, il y avait des choses à voir dans cette fête qui pouvaient m'attirer, si quelque autre motif ne m'avait retenu.

ARISTIONE. - Et Clitidas a-t-il vu cela?

CLITIDAS. - Oui, Madame, mais du rivage.

ARISTIONE. - Et pourquoi du rivage?

CLITIDAS. - Ma foi, Madame, j'ai craint quelqu'un des accidents qui arrivent d'ordinaire dans ces confusions. Cette nuit, j'ai songé de poisson mort, et d'œufs cassés, et j'ai appris du seigneur Anaxarque, que les œufs cassés et le poisson mort signifient malencontre*.

ANAXARQUE. - Je remarque une chose, que Clitidas n'aurait rien à dire s'il ne parlait de moi.

CLITIDAS. - C'est qu'il y a tant de choses à dire de vous, qu'on n'en saurait parler assez.

ANAXARQUE. - Vous pourriez prendre d'autres matières, puisque je vous en ai prié.

CLITIDAS. - Le moyen? Ne dites-vous pas que l'ascendant* est plus fort que tout; et s'il est écrit dans les astres que je sois enclin à parler de vous, comment voulez-vous que je résiste à ma destinée?

ANAXARQUE. - Avec tout le respect, Madame, que je vous dois, il y a une chose qui est fâcheuse dans votre cour: que tout le monde y prenne liberté de parler, et que le plus honnête homme y soit exposé aux railleries du premier méchant plaisant.

CLITIDAS. - Je vous rends grâce de l'honneur.

ARISTIONE. - Que vous êtes fou de vous chagriner de ce qu'il dit.

CLITIDAS. - Avec tout le respect que je dois à Madame, il y a une chose qui m'étonne dans l'astrologie, comment des gens qui savent tous les secrets des Dieux, et qui possèdent des connaissances à se mettre au-dessus de tous les hommes, aient besoin de faire leur cour et de demander quelque chose.

ANAXARQUE. - Vous devriez gagner un peu mieux votre argent, et donner à Madame de meilleures plaisanteries.

CLITIDAS. - Ma foi, on les donne telles qu'on peut. Vous en parlez fort à votre aise, et le métier de plaisant n'est pas comme celui d'astrologue. Bien mentir, et bien plaisanter sont deux choses fort différentes, et il est bien plus facile de tromper les gens, que de les faire rire.

ARISTIONE. - Eh! qu'est-ce donc que cela veut dire?

CLITIDAS, se parlant à lui-même. - Paix, impertinent que vous êtes. Ne savez-vous pas bien que l'astrologie est une affaire d'État, et qu'il ne faut point toucher à cette corde-là? Je vous l'ai dit plusieurs fois, vous vous émancipez trop, et vous prenez de certaines libertés qui vous joueront un mauvais tour; je vous en avertis. Vous verrez qu'un de ces jours on vous donnera du pied au cul, et qu'on vous chassera comme un faquin, taisez-vous, si vous êtes sage.

ARISTIONE. - Où est ma fille?

TIMOCLÈS. - Madame, elle s'est écartée, et je lui ai présenté une main qu'elle a refusé d'accepter.

ARISTIONE. - Princes, puisque l'amour que vous avez pour Ériphile a bien voulu se soumettre aux lois que j'ai voulu vous imposer, puisque j'ai su obtenir de vous que vous fussiez rivaux sans devenir ennemis, et qu'avec pleine soumission aux sentiments de ma fille, vous attendez un choix dont je l'ai faite seule maîtresse; ouvrez-moi tous deux le fond de votre âme, et me dites sincèrement quel progrès vous croyez l'un et l'autre avoir fait sur son cœur.

TIMOCLÈS. - Madame, je ne suis point pour me flatter*, j'ai fait ce que j'ai pu pour toucher le cœur de la princesse Ériphile, et je m'y suis pris que je crois de toutes les tendres manières, dont un amant se peut servir. Je lui ai fait des hommages soumis de tous mes vœux; j'ai montré des assiduités; j'ai rendu des soins chaque jour; j'ai fait chanter ma passion aux voix les plus touchantes, et l'ai fait exprimer en vers aux plumes les plus délicates*; je me suis plaint de mon martyre en des termes passionnés, j'ai fait dire à mes yeux aussi bien qu'à ma bouche le désespoir de mon amour; j'ai poussé à ses pieds des soupirs languissants; j'ai même répandu des larmes, mais tout cela inutilement, et je n'ai point connu qu'elle ait dans l'âme aucun ressentiment* de mon ardeur.

ARISTIONE. - Et vous, Prince?

IPHICRATE. - Pour moi, Madame, connaissant son indifférence et le peu de cas qu'elle fait des devoirs qu'on lui rend, je n'ai voulu perdre auprès d'elle, ni plaintes, ni soupirs, ni larmes. Je sais qu'elle est toute soumise à vos volontés, et que ce n'est que de votre main seule qu'elle voudra prendre un époux. Aussi n'est-ce qu'à vous que je m'adresse pour l'obtenir, à vous plutôt qu'à elle que je rends tous mes soins et tous mes hommages. Et plût au Ciel, Madame, que vous eussiez pu vous résoudre à tenir sa place; que vous eussiez voulu jouir des conquêtes que vous lui faites, et recevoir pour vous les vœux que vous lui renvoyez.

ARISTIONE. - Prince, le compliment est d'un amant adroit, et vous avez entendu dire qu'il fallait cajoler les mères pour obtenir les filles; mais ici par malheur tout cela devient inutile, et je me suis engagée à laisser le choix tout entier à l'inclination de ma fille.

IPHICRATE. - Quelque pouvoir que vous lui donniez pour ce choix, ce n'est point compliment, Madame, que ce que je vous dis. Je ne recherche la princesse Ériphile, que parce qu'elle est votre sang; je la trouve charmante par tout ce qu'elle tient de vous, et c'est vous que j'adore en elle.

ARISTIONE. - Voilà qui est fort bien.

IPHICRATE. - Oui, Madame, toute la terre voit en vous des attraits et des charmes que je...

ARISTIONE. - De grâce, Prince, ôtons ces charmes et ces attraits, vous savez que ce sont des mots que je retranche des compliments qu'on me veut faire. Je souffre qu'on me loue de ma sincérité, qu'on dise que je suis une bonne princesse, que j'ai de la parole pour tout le monde, de la chaleur pour mes amis, et de l'estime pour le mérite et la vertu, je puis tâter de tout cela; mais pour les douceurs de charmes et d'attraits je suis bien aise qu'on ne m'en serve point, et quelque vérité qui s'y pût rencontrer, on doit faire quelque scrupule d'en goûter la louange, quand on est mère d'une fille comme la mienne.

IPHICRATE. - Ah! Madame, c'est vous qui voulez être mère malgré tout le monde; il n'est point d'yeux qui ne s'y opposent, et si vous le vouliez, la princesse Ériphile ne serait que votre sœur.

ARISTIONE. - Mon Dieu, Prince, je ne donne point dans tous ces galimatias où donnent la plupart des femmes; je veux être mère, parce que je la suis, et ce serait en vain que je ne la voudrais pas être*. Ce titre n'a rien qui me choque, puisque de mon consentement je me suis exposée à le recevoir; c'est un faible de notre sexe, dont grâce au Ciel je suis exempte, et je ne m'embarrasse point de ces grandes disputes d'âge, sur quoi nous voyons tant de folles. Revenons à notre discours. Est-il possible que jusqu'ici vous n'ayez pu connaître où penche l'inclination d'Ériphile?

IPHICRATE. - Ce sont obscurités pour moi.

TIMOCLÈS. - C'est pour moi un mystère impénétrable.

ARISTIONE. - La pudeur peut-être l'empêche de s'expliquer à vous et à moi, servons-nous de quelque autre pour découvrir le secret de son cœur. Sostrate, prenez de ma part cette commission, et rendez cet office à ces princes, de savoir adroitement de ma fille vers qui des deux ses sentiments peuvent tourner.

SOSTRATE. - Madame, vous avez cent personnes dans votre cour sur qui vous pourriez mieux verser l'honneur d'un tel emploi, et je me sens mal propre à bien exécuter ce que vous souhaitez de moi.

ARISTIONE. - Votre mérite, Sostrate, n'est point borné aux seuls emplois de la guerre: vous avez de l'esprit, de la conduite, de l'adresse, et ma fille fait cas de vous.

SOSTRATE. - Quelque autre mieux que moi, Madame,...

ARISTIONE. - Non, non; en vain vous vous en défendez.

SOSTRATE. - Puisque vous le voulez, Madame, il vous faut obéir, mais je vous jure que dans toute votre cour vous ne pouviez choisir personne qui ne fût en état de s'acquitter beaucoup mieux que moi d'une telle commission.

ARISTIONE. - C'est trop de modestie, et vous vous acquitterez toujours bien de toutes les choses dont on vous chargera. Découvrez doucement les sentiments d'Ériphile, et faites-la ressouvenir qu'il faut se rendre de bonne heure dans le bois de Diane.