Le bourgeois gentilhomme » Acte 3 » SCÈNE X
CLÉONTE, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.NICOLE.- Pour moi, j'en ai été toute scandalisée.LUCILE.- Ce ne peut être, Nicole, que ce que je dis. Mais le voilà.CLÉONTE.- Je ne veux pas seulement lui parler.COVIELLE.- Je veux vous imiter.LUCILE.- Qu'est-ce donc, Cléonte? qu'avez-vous?NICOLE.- Qu'as-tu donc, Covielle?LUCILE.- Quel chagrin vous possède?NICOLE.- Quelle mauvaise humeur te tient?LUCILE.- Êtes-vous muet, Cléonte?NICOLE.- As-tu perdu la parole, Covielle?CLÉONTE.- Que voilà qui est scélérat!COVIELLE.- Que cela est Judas!LUCILE.- Je vois bien que la rencontre de tantôt a troublé votre esprit.CLÉONTE.- Ah, ah, on voit ce qu'on a fait.NICOLE.- Notre accueil de ce matin t'a fait prendre la chèvre*.COVIELLE.- On a deviné l'encloure*.LUCILE.- N'est-il pas vrai, Cléonte, que c'est là le sujet de votre dépit?CLÉONTE.- Oui, perfide, ce l'est, puisqu'il faut parler; et j'ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avantage de me chasser. J'aurai de la peine, sans doute, à vaincre l'amour que j'ai pour vous; cela me causera des chagrins: je souffrirai un temps; mais j'en viendrai à bout, et je me percerai plutôt le cœur, que d'avoir la faiblesse de retourner à vous.COVIELLE.- Queussi, queumi*.LUCILE.- Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abord.CLÉONTE.- Non, je ne veux rien écouter.NICOLE.- Je te veux apprendre la cause qui nous a fait passer si vite.COVIELLE.- Je ne veux rien entendre.LUCILE.- Sachez que ce matin...CLÉONTE.- Non, vous dis-je.NICOLE.- Apprends que...COVIELLE.- Non, traîtresse.LUCILE.- Écoutez.CLÉONTE.- Point d'affaire.NICOLE.- Laisse-moi dire.COVIELLE.- Je suis sourd.LUCILE.- Cléonte.CLÉONTE.- Non.NICOLE.- Covielle.COVIELLE.- Point.LUCILE.- Arrêtez.CLÉONTE.- Chansons.NICOLE.- Entends-moi.COVIELLE.- Bagatelle.LUCILE.- Un moment.CLÉONTE.- Point du tout.NICOLE.- Un peu de patience.COVIELLE.- Tarare*.LUCILE.- Deux paroles.CLÉONTE.- Non, c'en est fait.NICOLE.- Un mot.COVIELLE.- Plus de commerce.LUCILE.- Hé bien, puisque vous ne voulez pas m'écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira.NICOLE.- Puisque tu fais comme cela, prends-le tout comme tu voudras.CLÉONTE.- Sachons donc le sujet d'un si bel accueil.LUCILE.- Il ne me plaît plus de le dire.COVIELLE.- Apprends-nous un peu cette histoire.NICOLE.- Je ne veux plus, moi, te l'apprendre.CLÉONTE.- Dites-moi...LUCILE.- Non, je ne veux rien dire.COVIELLE.- Conte-moi...NICOLE.- Non, je ne conte rien.CLÉONTE.- De grâce.LUCILE.- Non, vous dis-je.COVIELLE.- Par charité.NICOLE.- Point d'affaire.CLÉONTE.- Je vous en prie.LUCILE.- Laissez-moi.COVIELLE.- Je t'en conjure.NICOLE.- Ôte-toi de là.CLÉONTE.- Lucile.LUCILE.- Non.COVIELLE.- Nicole.NICOLE.- Point.CLÉONTE.- Au nom des Dieux!LUCILE.- Je ne veux pas.COVIELLE.- Parle-moi.NICOLE.- Point du tout.CLÉONTE.- Éclaircissez mes doutes.LUCILE.- Non, je n'en ferai rien.COVIELLE.- Guéris-moi l'esprit.NICOLE.- Non, il ne me plaît pas.CLÉONTE.- Hé bien, puisque vous vous souciez si peu de me tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d'amour.COVIELLE.- Et moi, je vais suivre ses pas.LUCILE.- Cléonte.NICOLE.- Covielle.CLÉONTE.- Eh?COVIELLE.- Plaît-il?LUCILE.- Où allez-vous?CLÉONTE.- Où je vous ai dit.COVIELLE.- Nous allons mourir.LUCILE.- Vous allez mourir, Cléonte?CLÉONTE.- Oui, cruelle, puisque vous le voulez.LUCILE.- Moi, je veux que vous mouriez?CLÉONTE.- Oui, vous le voulez.LUCILE.- Qui vous le dit?CLÉONTE.- N'est-ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas éclaircir mes soupçons?LUCILE.- Est-ce ma faute? Et si vous aviez voulu m'écouter, ne vous aurais-je pas dit que l'aventure dont vous vous plaignez, a été causée ce matin par la présence d'une vieille tante, qui veut à toute force, que la seule approche d'un homme déshonore une fille; qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous les hommes comme des diables qu'il faut fuir.NICOLE. - Voilà le secret de l'affaire.CLÉONTE.- Ne me trompez-vous point, Lucile?COVIELLE.- Ne m'en donnes-tu point à garder?LUCILE.- Il n'est rien de plus vrai.NICOLE.- C'est la chose comme elle est.COVIELLE.- Nous rendrons-nous à cela?CLÉONTE.- Ah, Lucile, qu'avec un mot de votre bouche vous savez apaiser de choses dans mon cœur! et que facilement on se laisse persuader aux personnes qu'on aime!COVIELLE.- Qu'on est aisément amadoué par ces diantres d'animaux-là!
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