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Actes de l'oeuvre
Les amants magnifiques :

¤Prologue
¤Acte I
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
¤Acte II
¤Acte III
¤Acte IV
¤Acte V
 
 

 

Les amants magnifiques » Acte I » SCÈNE PREMIÈRE

SOSTRATE, CLITIDAS.

CLITIDAS. - Il est attaché à ses pensées.

SOSTRATE. - Non, Sostrate, je ne vois rien où tu puisses avoir recours, et tes maux sont d'une nature à ne te laisser nulle espérance d'en sortir.

CLITIDAS. - Il raisonne tout seul.

SOSTRATE. - Hélas!

CLITIDAS. - Voilà des soupirs qui veulent dire quelque chose, et ma conjecture se trouvera véritable.

SOSTRATE. - Sur quelles chimères, dis-moi, pourrais-tu bâtir quelque espoir, et que peux-tu envisager, que l'affreuse longueur d'une vie malheureuse, et des ennuis à ne finir que par la mort?

CLITIDAS. - Cette tête-là est plus embarrassée que la mienne.

SOSTRATE. - Ah! mon cœur, ah! mon cœur, où m'avez-vous jeté?

CLITIDAS. - Serviteur, Seigneur Sostrate.

SOSTRATE. - Où vas-tu, Clitidas?

CLITIDAS. - Mais vous plutôt que faites-vous ici, et quelle secrète mélancolie, quelle humeur sombre, s'il vous plaît, vous peut retenir dans ces bois, tandis que tout le monde a couru en foule à la magnificence de la fête, dont l'amour du prince Iphicrate vient de régaler sur la mer la promenade des princesses; tandis qu'elles y ont reçu des cadeaux* merveilleux de musique, et de danse, et qu'on a vu les rochers et les ondes se parer de divinités pour faire honneur à leurs attraits?

SOSTRATE. - Je me figure assez sans la voir cette magnificence, et tant de gens d'ordinaire s'empressent à porter de la confusion dans ces sortes de fêtes, que j'ai cru à propos de ne pas augmenter le nombre des importuns.

CLITIDAS. - Vous savez que votre présence ne gâte jamais rien, et que vous n'êtes point de trop en quelque lieu que vous soyez. Votre visage est bien venu partout, et il n'a garde d'être de ces visages disgraciés, qui ne sont jamais bien reçus des regards souverains. Vous êtes également bien auprès des deux princesses; et la mère, et la fille vous font assez connaître l'estime qu'elles font de vous pour n'appréhender pas de fatiguer leurs yeux; et ce n'est pas cette crainte, enfin, qui vous a retenu.

SOSTRATE. - J'avoue que je n'ai pas naturellement grande curiosité pour ces sortes de choses.

CLITIDAS. - Mon Dieu! quand on n'aurait nulle curiosité pour les choses, on en a toujours pour aller où l'on trouve tout le monde, et quoi que vous puissiez dire, on ne demeure point tout seul pendant une fête à rêver parmi des arbres comme vous faites, à moins d'avoir en tête quelque chose qui embarrasse.

SOSTRATE. - Que voudrais-tu que j'y pusse avoir?

CLITIDAS. - Ouais, je ne sais d'où cela vient, mais il sent ici l'amour; ce n'est pas moi. Ah! par ma foi c'est vous.

SOSTRATE. - Que tu es fou, Clitidas.

CLITIDAS. - Je ne suis point fou, vous êtes amoureux, j'ai le nez délicat, et j'ai senti cela d'abord.

SOSTRATE. - Sur quoi prends-tu cette pensée.

CLITIDAS. - Sur quoi? Vous seriez bien étonné si je vous disais encore de qui vous êtes amoureux.

SOSTRATE. - Moi?

CLITIDAS. - Oui, je gage que je vais deviner tout à l'heure* celle que vous aimez. J'ai mes secrets aussi bien que notre astrologue, dont la princesse Aristione est entêtée*; et s'il a la science de lire dans les astres la fortune des hommes, j'ai celle de lire dans les yeux le nom des personnes qu'on aime. Tenez-vous un peu, et ouvrez les yeux. É, par soi*, é; r, i, ri, éri; p, h, i, phi, ériphi; l, e, le: Ériphile. Vous êtes amoureux de la princesse Ériphile.

SOSTRATE. - Ah! Clitidas, j'avoue que je ne puis cacher mon trouble, et tu me frappes d'un coup de foudre.

CLITIDAS. - Vous voyez si je suis savant?

SOSTRATE. - Hélas! si par quelque aventure tu as pu découvrir le secret de mon cœur, je te conjure au moins de ne le révéler à qui que ce soit, et surtout de le tenir caché à la belle princesse, dont tu viens de dire le nom.

CLITIDAS. - Et sérieusement parlant, si dans vos actions j'ai bien pu connaître depuis un temps la passion que vous voulez tenir secrète, pensez-vous que la princesse Ériphile puisse avoir manqué de lumière pour s'en apercevoir? Les belles, croyez-moi, sont toujours les plus clairvoyantes à découvrir les ardeurs qu'elles causent, et le langage des yeux et des soupirs se fait entendre mieux qu'à tout autre à celles à qui il s'adresse.

SOSTRATE. - Laissons-la, Clitidas, laissons-la voir si elle peut dans mes soupirs et mes regards l'amour que ses charmes m'inspirent, mais gardons bien que par nulle autre voie elle en apprenne jamais rien.

CLITIDAS. - Et qu'appréhendez-vous? Est-il possible que ce même Sostrate qui n'a pas craint, ni Brennus, ni tous les Gaulois; et dont le bras a si glorieusement contribué à nous défaire de ce déluge de barbares qui ravageait la Grèce*, est-il possible, dis-je, qu'un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour, et que je le voie trembler à dire seulement qu'il aime?

SOSTRATE. - Ah! Clitidas, je tremble avec raison, et tous les Gaulois du monde ensemble sont bien moins redoutables, que deux beaux yeux pleins de charmes.

CLITIDAS. - Je ne suis pas de cet avis, et je sais bien pour moi qu'un seul Gaulois l'épée à la main, me ferait beaucoup plus trembler que cinquante beaux yeux ensemble les plus charmants du monde. Mais dites-moi un peu, qu'espérez-vous faire?

SOSTRATE. - Mourir sans déclarer ma passion.

CLITIDAS. - L'espérance est belle. Allez, allez, vous vous moquez, un peu de hardiesse réussit toujours aux amants; il n'y a en amour que les honteux qui perdent, et je dirais ma passion à une déesse moi, si j'en devenais amoureux.

SOSTRATE. - Trop de choses, hélas! condamnent mes feux à un éternel silence.

CLITIDAS. - Hé quoi?

SOSTRATE. - La bassesse de ma fortune, dont il plaît au Ciel de rabattre l'ambition de mon amour, le rang de la princesse, qui met entre elle et mes désirs une distance si fâcheuse, la concurrence de deux princes appuyés de tous les grands titres qui peuvent soutenir les prétentions de leurs flammes; de deux princes qui, par mille et mille magnificences, se disputent à tous moments la gloire de sa conquête, et sur l'amour de qui on attend tous les jours de voir son choix se déclarer, mais plus que tout, Clitidas, le respect inviolable où ses beaux yeux assujettissent toute la violence de mon ardeur.

CLITIDAS. - Le respect bien souvent n'oblige pas tant que l'amour, et je me trompe fort, ou la jeune princesse a connu votre flamme, et n'y est pas insensible.

SOSTRATE. - Ah! ne t'avise point de vouloir flatter par pitié le cœur d'un misérable.

CLITIDAS. - Ma conjecture est fondée, je lui vois reculer beaucoup le choix de son époux, et je veux éclaircir un peu cette petite affaire-là. Vous savez que je suis auprès d'elle en quelque espèce de faveur, que j'y ai les accès ouverts, et qu'à force de me tourmenter* je me suis acquis le privilége de me mêler à la conversation, et parler à tort et à travers de toutes choses. Quelquefois cela ne me réussit pas, mais quelquefois aussi cela me réussit. Laissez-moi faire, je suis de vos amis, les gens de mérite me touchent, et je veux prendre mon temps pour entretenir la princesse de...

SOSTRATE. - Ah! de grâce, quelque bonté que mon malheur t'inspire, garde-toi bien de lui rien dire de ma flamme. J'aimerais mieux mourir que de pouvoir être accusé par elle de la moindre témérité, et ce profond respect où ses charmes divins...

CLITIDAS. - Taisons-nous, voici tout le monde.