Le Dépit Amoureux » Acte V » SCÈNE VIII
MASCARILLE, LUCILE, ÉRASTE, ALBERT, VALÈRE, GROS-RENÉ, MARINETTE, ASCAGNE, FROSINE, POLYDORE. VALÈRE Il ne le fera pas, 1700 Quand il joindrait au sien encor vingt autres bras.Je le plains de défendre une sœur criminelle:Mais, puisque son erreur me veut faire querelle,Nous le satisferons, et vous, mon brave*, aussi. ÉRASTE Je prenais intérêt tantôt à tout ceci; 1705 Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire,Je ne veux plus en prendre, et je laisse faire*. VALÈRE C'est bien fait; la prudence est toujours de saison:Mais... ÉRASTE Il saura pour tous vous mettre à la raison. VALÈRE Lui ? POLYDORE Ne t'y trompe pas: tu ne sais pas encore Quel étrange garçon est Ascagne. ALBERT 1710 Il l'ignore. Mais il* pourra dans peu le lui faire savoir. VALÈRE Sus donc, que maintenant il me le fasse voir. MARINETTE Aux yeux de tous ? GROS-RENÉ Cela ne serait pas honnête. VALÈRE Se moque-t-on de moi ? Je casserai la tête 1715 À quelqu'un des rieurs. Enfin, voyons l'effet. ASCAGNE Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait:Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse,Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse,Connaître que le Ciel qui dispose de nous 1720 Ne me fit pas un cœur pour tenir contre vous,Et qu'il vous réservait pour victoire facile,De finir le destin du frère de Lucile.Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,Ascagne va par vous recevoir le trépas: 1725 Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessairePeut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,En vous donnant pour femme en présence de tousCelle qui justement ne peut être qu'à vous*. VALÈRE Non, quand toute la terre, après sa perfidie,Et les traits effrontés... ASCAGNE 1730 Ah! souffrez que je die*, Valère, que le cœur qui vous est engagéD'aucun crime envers vous ne peut être chargé:Sa flamme est toujours pure, et sa constance extrême;Et j'en prends à témoin votre père lui-même. POLYDORE 1735 Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.Celle à qui par serment ton âme est attachée,Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;Un intérêt de bien dès ses plus jeunes ans, 1740 Fit ce déguisement qui trompe tant de gens;Et depuis peu l'amour en a su faire un autre,Qui t'abusa joignant leur famille à la nôtre.Ne va point regarder à tout le monde aux yeux*;Je te fais maintenant un discours sérieux: 1745 Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,La nuit reçut ta foi sous le nom de Lucile,Et qui par ce ressort qu'on ne comprenait pas,A semé parmi vous un si grand embarras.Mais puisqu'Ascagne ici fait place à Dorothée, 1750 Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,Et qu'un nœud plus sacré* donne force au premier. ALBERT Et c'est là justement ce combat singulier,Qui devait envers nous réparer votre offense,Et pour qui les édits n'ont point fait de défense. POLYDORE 1755 Un tel événement rend tes esprits confus;Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus. VALÈRE Non, non; je ne veux pas songer à m'en défendre;Et, si cette aventure a lieu de me surprendre,La surprise me flatte, et je me sens saisir 1760 De merveille* à la fois, d'amour, et de plaisir,Se peut-il que ces yeux... ? ALBERT Cet habit, cher Valère, Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire.Allons lui faire en prendre un autre; et cependantVous saurez le détail de tout cet incident. VALÈRE 1765 Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée... LUCILE L'oubli de cette injure est une chose aisée. ALBERT Allons, ce compliment se fera bien chez nous,Et nous aurons loisir de nous en faire tous*. ÉRASTE Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage, 1770 Qu'il reste encor ici des sujets de carnage:Voilà bien à tous deux notre amour couronné,Mais de son Mascarille, et de mon Gros-René,Par qui doit Marinette être ici possédée ?Il faut que par le sang l'affaire soit vidée. MASCARILLE 1775 Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop bien:Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien.De l'humeur que je sais la chère Marinette,L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette. MARINETTE Et tu crois que de toi je ferais mon galant ? 1780 Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend;On n'y va pas chercher tant de cérémonie:Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie. GROS-RENÉ Écoute, quand l'hymen aura joint nos deux peaux,Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux. MASCARILLE 1785 Tu crois te marier pour toi tout seul, compère ? GROS-RENÉ Bien entendu, je veux une femme sévère:Ou je ferai beau bruit. MASCARILLE Eh! mon Dieu, tu feras Comme les autres font: et tu t'adouciras.Ces gens avant l'hymen, si fâcheux et critiques 1790 Dégénèrent souvent en maris pacifiques. MARINETTE Va, va, petit mari: ne crains rien de ma foi:Les douceurs ne feront que blanchir* contre moi:Et je te dirai tout. MASCARILLE Oh! la fine pratique*! Un mari confident!... MARINETTE Taisez-vous, as de pique*. ALBERT 1795 Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nousPoursuivre en liberté des entretiens si doux.
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