La Comtesse d'Escarbagnas » Acte 1 » SCÈNE IV
LE VICOMTE, LA COMTESSE, JULIE, CRIQUET, ANDRÉE.LE VICOMTE.- Madame, je viens vous avertir que la comédie sera bientôt prête, et que dans un quart d'heure nous pouvons passer dans la salle.LA COMTESSE.- Je ne veux point de cohue au moins. Que l'on dise à mon suisse* qu'il ne laisse entrer personne.LE VICOMTE.- En ce cas, Madame, je vous déclare que je renonce à la comédie, et je n'y saurais prendre de plaisir, lorsque la compagnie n'est pas nombreuse. Croyez-moi, si vous voulez vous bien divertir, qu'on dise à vos gens de laisser entrer toute la ville.LA COMTESSE.- Laquais, un siège. Vous voilà venu à propos pour recevoir un petit sacrifice que je veux bien vous faire. Tenez, c'est un billet de Monsieur Tibaudier, qui m'envoie des poires. Je vous donne la liberté de le lire tout haut, je ne l'ai point encore vu.LE VICOMTE.- Voici un billet du beau style, Madame, et qui mérite d'être bien écouté.(Il lit.)Madame, je n'aurais pas pu vous faire le présent que je vous envoie, si je ne recueillais pas plus de fruit de mon jardin, que j'en recueille de mon amour.LA COMTESSE.- Cela vous marque clairement qu'il ne se passe rien entre nous.LE VICOMTE continue.- Les poires ne sont pas encore bien mûres*, mais elles en cadrent mieux, avec la dureté de votre âme, qui par ses continuels dédains, ne me promet pas poires molles*. Trouvez bon, Madame, que sans m'engager dans une énumération de vos perfections, et charmes, qui me jetterait dans un progrès à l'infini, je conclue ce mot, en vous faisant considérer que je suis d'un aussi franc chrétien, que les poires que je vous envoie, puisque je rends le bien pour le mal, c'est-à-dire, Madame, pour m'expliquer plus intelligiblement, puisque je vous présente des poires de bon-chrétien, pour des poires d'angoisse*, que vos cruautés me font avaler tous les jours.Tibaudier, votre esclave indigne. Voilà, Madame, un billet à garder.LA COMTESSE.- Il y a peut-être quelque mot qui n'est pas de l'Académie; mais j'y remarque un certain respect qui me plaît beaucoup.JULIE.- Vous avez raison, Madame, et Monsieur le Vicomte dût-il s'en offenser, j'aimerais un homme qui m'écrirait comme cela.
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