Psyché » Acte 5 » SCÈNE DERNIÈRE
JUPITER, VÉNUS, L'AMOUR, PSYCHÉ. L'AMOUR Vous à qui seul tout est possible, 1970 Père des Dieux, souverain des mortels,Fléchissez la rigueur d'une mère inflexibleQui sans moi n'aurait point d'autels.J'ai pleuré, j'ai prié, je soupire, menace,Et perds menaces et soupirs; 1975 Elle ne veut pas voir que de mes déplaisirsDépend du monde entier l'heureuse, ou triste face,Et que si Psyché perd le jour,Si Psyché n'est à moi, je ne suis plus l'Amour.Oui, je romprai mon arc, je briserai mes flèches, 1980 J'éteindrai jusqu'à mon flambeau,Je laisserai languir la Nature au tombeau;Ou si je daigne aux cœurs faire encor quelques brèches,Avec ces pointes d'or qui me font obéirJe vous blesserai tous là-haut pour des mortelles, 1985 Et ne décocherai sur ellesQue des traits émoussés qui forcent à haïr,Et qui ne font que des rebelles,Des ingrates, et des cruelles.Par quelle tyrannique loi 1990 Tiendrai-je à vous servir mes armes toujours prêtes,Et vous ferai-je à tous conquêtes sur conquêtes,Si vous me défendez d'en faire une pour moi? JUPITER Ma fille, sois-lui moins sévère.Tu tiens de sa Psyché le destin en tes mains, 1995 La Parque au moindre mot va suivre ta colère,Parle, et laisse-toi vaincre aux tendresses de mère,Ou redoute un courroux que moi-même je crains.Veux-tu donner le monde en proieÀ la haine, au désordre, à la confusion, 2000 Et d'un Dieu d'union,D'un Dieu de douceurs et de joie,Faire un Dieu d'amertume et de division?Considère ce que nous sommes,Et si les passions doivent nous dominer, 2005 Plus la vengeance a de quoi plaire aux hommes,Plus il sied bien aux Dieux de pardonner. VÉNUS Je pardonne à ce fils rebelle;Mais voulez-vous qu'il me soit reprochéQu'une misérable mortelle, 2010 L'objet de mon courroux, l'orgueilleuse Psyché,Sous ombre qu'elle est un peu belle,Par un hymen dont je rougis,Souille mon alliance, et le lit de mon fils? JUPITER Hé bien, je la fais immortelle, 2015 Afin d'y rendre tout égal. VÉNUS Je n'ai plus de mépris, ni de haine pour elle,Et l'admets à l'honneur de ce nœud conjugal.Psyché, reprenez la lumière,Pour ne la reperdre jamais, 2020 Jupiter a fait votre paix,Et je quitte cette humeur fièreQui s'opposait à vos souhaits. PSYCHÉ C'est donc vous, ô grande Déesse,Qui redonnez la vie à ce cœur innocent! VÉNUS 2025 Jupiter vous fait grâce, et ma colère cesse.Vivez, Vénus l'ordonne; aimez, elle y consent. PSYCHÉ, à l'Amour. Je vous revois enfin, cher objet de ma flamme! L'AMOUR, à Psyché. Je vous possède enfin, délices de mon âme! JUPITER Venez, amants, venez aux Cieux 2030 Achever un si grand et si digne hyménée;Viens-y, belle Psyché, changer de destinée,Viens prendre place aux rang des Dieux. Deux grandes machines descendent aux deux côtés de Jupiter, cependant qu'il dit ces derniers vers. Vénus avec sa suite monte dans l'une, l'Amour avec Psyché dans l'autre, et tous ensemble remontent au ciel. Les Divinités qui avaient été partagées entre Vénus et son fils, se réunissent en les voyant d'accord; et toutes ensemble par des concerts, des chants, et des danses, célèbrent la fête des noces de l'Amour. Apollon paraît le premier et, comme Dieu de l'harmonie commence à chanter, pour inviter les autres Dieux à se réjouir. RÉCIT D'APOLLON Unissons-nous, troupe immortelle;Le Dieu d'amour devient heureux amant, 2035 Et Vénus a repris sa douceur naturelleEn faveur d'un fils si charmant:Il va goûter en paix, après un long tourment,Une félicité qui doit être éternelle. TOUTES LES DIVINITÉS chantent ensemble ce couplet à la gloire de l'Amour. Célébrons ce grand jour; 2040 Célébrons tous une fête si belle:Que nos chants en tous lieux en portent la nouvelle,Qu'ils fassent retentir le céleste séjour:Chantons, répétons, tour à tour,Qu'il n'est point d'âme si cruelle 2045 Qui tôt ou tard ne se rende à l'Amour. APOLLON continue. Le Dieu qui nous engageÀ lui faire la cour,Défend qu'on soit trop sage.Les plaisirs ont leur tour, 2050 C'est leur plus doux usage,Que de finir les soins du jour.La nuit est le partageDes jeux, et de l'amour. Ce serait grand dommage 2055 Qu'en ce charmant séjourOn eût un cœur sauvage.Les plaisirs ont leur tour,C'est leur plus doux usage,Que de finir les soins du jour. 2060 La nuit est le partageDes jeux, et de l'amour. Deux muses, qui ont toujours évité de s'engager sous les lois de l'Amour, conseillent aux belles qui n'ont point encore aimé, de s'en défendre avec soin à leur exemple. CHANSON DES MUSES Gardez-vous, beautés sévères,Les amours font trop d'affaires,Craignez toujours de vous laisser charmer: 2065 Quand il faut que l'on soupire,Tout le mal n'est pas de s'enflammer;Le martyreDe le dire,Coûte plus cent fois que d'aimer. SECOND COUPLET DES MUSES 2070 On ne peut aimer sans peines,Il est peu de douces chaînes,À tout moment on se sent alarmer;Quand il faut que l'on soupire,Tout le mal n'est pas de s'enflammer; 2075 Le martyreDe le direCoûte plus cent fois que d'aimer. Bacchus fait entendre qu'il n'est pas si dangereux que l'Amour. RÉCIT DE BACCHUS Si quelquefois,Suivant nos douces lois, 2080 La raison se perd et s'oublie,Ce que le vin nous cause de folieCommence et finit en un jour;Mais quand un cœur est enivré d'amour,Souvent c'est pour toute la vie. Mome déclare qu'il n'a point de plus doux emploi que de médire, et que ce n'est qu'à l'Amour seul qu'il n'ose se jouer. RÉCIT DE MOME 2085 Je cherche à médire!Sur la terre et dans les Cieux;Je soumets à ma satireLes plus grands des Dieux.Il n'est dans l'univers que l'Amour qui m'étonne; 2090 Il est le seul que j'épargne aujourd'hui;Il n'appartient qu'à luiDe n'épargner personne. ENTRÉE DE BALLET composée de quatre Polichinelles et de deux Matassins qui suivent Mome, et viennent joindre leur plaisanterie et leur badinage aux divertissements de cette grande fête. Bacchus et Mome qui les conduisent, chantent au milieu d'eux chacun une chanson, Bacchus à la louange du vin, et Mome une chanson enjouée, sur le sujet et les avantages de la raillerie. RÉCIT DE BACCHUS Admirons le jus de la treille:Qu'il est puissant! qu'il a d'attraits! 2095 Il sert aux douceurs de la paix,Et dans la guerre il fait merveille:Mais surtout pour les amours,Le vin est d'un grand secours. RÉCIT DE MOME Folâtrons, divertissons-nous, 2100 Raillons, nous ne saurions mieux faire,La raillerie est nécessaireDans les jeux les plus doux.Sans la douceur que l'on goûte à médire,On trouve peu de plaisirs sans ennui; 2105 Rien n'est si plaisant que de rire,Quand on rit aux dépens d'autrui. Plaisantons, ne pardonnons rien,Rions, rien n'est plus à la mode,On court péril d'être incommode, 2110 En disant trop de bien.Sans la douceur que l'on goûte à médire,On trouve peu de plaisirs sans ennui;Rien n'est si plaisant que de rire,Quand on rit aux dépens d'autrui. Mars arrive au milieu du théâtre, suivi de sa troupe guerrière, qu'il excite à profiter de leur loisir en prenant part aux divertissements. RÉCIT DE MARS 2115 Laissons en paix toute la terre,Cherchons de doux amusements;Parmi les jeux les plus charmants,Mêlons l'image de la guerre. ENTRÉE DE BALLET Suivants de Mars, qui font, avec des drapeaux et des enseignes, une manière d'exercice. DERNIÈRE ENTRÉE DE BALLET Les troupes différentes de la suite d'Apollon, de Bacchus, de Mome, et de Mars, après avoir achevé leurs entrées particulières, s'unissent ensemble, et forment la dernière entrée, qui renferme toutes les autres. Un chœur de toutes les voix et de tous les instruments, qui sont au nombre de quarante, se joint à la danse générale, et termine la fête des noces de l'Amour et de Psyché. DERNIER CHŒUR Chantons les plaisirs charmants 2120 Des heureux amants,Que tout le Ciel s'empresseÀ leur faire sa cour,Célébrons ce beau jourPar mille doux chants d'allégresse, 2125 Célébrons ce beau jourPar mille doux chants pleins d'amour. Dans le grand salon du palais des Tuileries, où Psyché a été représentée devant Leurs Majestés, il y avait des timbales, des trompettes et des tambours, mêlés dans ces derniers concerts; et ce dernier couplet se chantait ainsi: Chantons les plaisirs charmantsDes heureux amants.Répondez-nous, trompettes, 2130 Timbales et tambours:Accordez-vous toujoursAvec le doux son des musettes,Accordez-vous toujoursAvec le doux chant des Amours.
|