Sganarelle ou le cocu imaginaire » Acte 1 » SCÈNE VII
LÉLIE, GROS-RENÉ. GROS-RENÉ Enfin nous y voici; mais Monsieur, si je l'ose,Je voudrais vous prier de me dire une chose. LÉLIE Hé bien, parle? GROS-RENÉ 215 Avez-vous le diable dans le corps Pour ne pas succomber à de pareils efforts,Depuis huit jours entiers avec vos longues traitesNous sommes à piquer de chiennes de mazettes,De qui le train maudit nous a tant secoués, 220 Que je m'en sens pour moi tous les membres roués,Sans préjudice encor d'un accident bien pire,Qui m'afflige un endroit que je ne veux pas dire;Cependant arrivé vous sortez bien et beauSans prendre de repos, ni manger un morceau. LÉLIE 225 Ce grand empressement n'est point digne de blâme*De l'hymen de Célie, on alarme mon âme;Tu sais que je l'adore, et je veux être instruitAvant tout autre soin de ce funeste bruit. GROS-RENÉ Oui; mais un bon repas vous serait nécessaire 230 Pour s'aller éclaircir, Monsieur, de cette affaire,Et votre cœur sans doute en deviendrait plus fortPour pouvoir résister aux attaques du sort.J'en juge par moi-même, et la moindre disgrâceLorsque je suis à jeun, me saisit, me terrasse; 235 Mais quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme à tout,Et les plus grands revers n'en viendraient pas à bout.Croyez-moi, bourrez-vous et sans réserve aucune,Contre les coups que peut vous porter la fortune,Et pour fermer chez vous l'entrée à la douleur, 240 De vingt verres de vin entourez votre cœur. LÉLIE Je ne saurais manger. GROS-RENÉ, à part ce demi-vers. Si ferait bien moi, je meure. Votre dîné pourtant serait prêt tout à l'heure. LÉLIE Tais-toi, je te l'ordonne. GROS-RENÉ Ah! quel ordre inhumain. LÉLIE J'ai de l'inquiétude et non pas de la faim. GROS-RENÉ 245 Et moi j'ai de la faim, et de l'inquiétudeDe voir qu'un sot amour fait toute votre étude. LÉLIE Laisse-moi m'informer de l'objet de mes vœux,Et sans m'importuner, va manger si tu veux. GROS-RENÉ Je ne réplique point à ce qu'un maître ordonne.
|