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Actes de l'oeuvre
Les fourberies de Scapin :

¤Acte 1
¤Acte 2
ºSCÈNE PREMIÈRE
ºSCÈNE II
ºSCÈNE III
ºSCÈNE IV
ºSCÈNE V
ºSCÈNE VI
ºSCÈNE VII
ºSCÈNE VIII
¤Acte 3
 
 

 

Les fourberies de Scapin » Acte 2 » SCÈNE V

ARGANTE, SCAPIN.

SCAPIN.- Le voilà qui rumine.

ARGANTE.- Avoir si peu de conduite et de considération*! S'aller jeter dans un engagement comme celui-là! Ah, ah, jeunesse impertinente*.

SCAPIN.- Monsieur, votre serviteur.

ARGANTE.- Bonjour, Scapin.

SCAPIN.- Vous rêvez à l'affaire de votre fils.

ARGANTE.- Je t'avoue que cela me donne un furieux chagrin.

SCAPIN.- Monsieur, la vie est mêlée de traverses. Il est bon de s'y tenir sans cesse préparé; et j'ai ouï dire il y a longtemps une parole d'un ancien que j'ai toujours retenue.

ARGANTE.- Quoi?

SCAPIN.- Que pour peu qu'un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux accidents que son retour peut rencontrer; se figurer sa maison brûlée, son argent dérobé, sa femme morte, son fils estropié, sa fille subornée; et ce qu'il trouve qui ne lui est point arrivé, l'imputer à bonne fortune. Pour moi, j'ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie; et je ne suis jamais revenu au logis, que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes maîtres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au cul, aux bastonnades, aux étrivières; et ce qui a manqué à m'arriver, j'en ai rendu grâce à mon bon destin.

ARGANTE.- Voilà qui est bien; mais ce mariage impertinent qui trouble celui que nous voulons faire, est une chose que je ne puis souffrir, et je viens de consulter des avocats pour le faire casser.

SCAPIN.- Ma foi, Monsieur, si vous m'en croyez, vous tâcherez, par quelque autre voie, d'accommoder l'affaire. Vous savez ce que c'est que les procès en ce pays-ci, et vous allez vous enfoncer dans d'étranges épines.

ARGANTE.- Tu as raison, je le vois bien. Mais quelle autre voie?

SCAPIN.- Je pense que j'en ai trouvé une. La compassion que m'a donnée tantôt votre chagrin, m'a obligé à chercher dans ma tête quelque moyen pour vous tirer d'inquiétude: car je ne saurais voir d'honnêtes pères chagrinés par leurs enfants, que cela ne m'émeuve; et de tout temps je me suis senti pour votre personne une inclination particulière.

ARGANTE.- Je te suis obligé.

SCAPIN.- J'ai donc été trouver le frère de cette fille qui a été épousée. C'est un de ces braves de profession*, de ces gens qui sont tous coups d'épée ; qui ne parlent que d'échiner, et ne font non plus de conscience de tuer un homme, que d'avaler un verre de vin. Je l'ai mis sur ce mariage; lui ai fait voir quelle facilité offrait la raison de la violence, pour le faire casser; vos prérogatives du nom de père, et l'appui que vous donnerait auprès de la justice et votre droit, et votre argent, et vos amis. Enfin je l'ai tant tourné de tous les côtés, qu'il a prêté l'oreille aux propositions que je lui ai faites d'ajuster l'affaire pour quelque somme; et il donnera son consentement à rompre le mariage, pourvu que vous lui donniez de l'argent.

ARGANTE.- Et qu'a-t-il demandé?

SCAPIN.- Oh d'abord, des choses par-dessus les maisons.

ARGANTE.- Et quoi?

SCAPIN.- Des choses extravagantes.

ARGANTE.- Mais encore?

SCAPIN.- Il ne parlait pas moins que de cinq ou six cents pistoles.

ARGANTE.- Cinq ou six cents fièvres quartaines qui le puissent serrer. Se moque-t-il des gens?

SCAPIN.- C'est ce que je lui ai dit. J'ai rejeté bien loin de pareilles propositions, et je lui ai bien fait entendre que vous n'étiez point une dupe, pour vous demander des cinq ou six cents pistoles. Enfin après plusieurs discours, voici où s'est réduit le résultat de notre conférence. "Nous voilà au temps, m'a-t-il dit, que je dois partir pour l'armée. Je suis après à m'équiper*; et le besoin que j'ai de quelque argent, me fait consentir malgré moi à ce qu'on me propose. Il me faut un cheval de service, et je n'en saurais avoir un qui soit tant soit peu raisonnable*, à moins de soixante pistoles."

ARGANTE.- Hé bien, pour soixante pistoles, je les donne.

SCAPIN.- "Il faudra le harnais, et les pistolets; et cela ira bien à vingt pistoles encore."

ARGANTE.- Vingt pistoles, et soixante, ce serait quatre-vingts.

SCAPIN.- Justement.

ARGANTE.- C'est beaucoup; mais soit, je consens à cela.

SCAPIN.- "Il me faut aussi un cheval pour monter mon valet, qui coûtera bien trente pistoles*".

ARGANTE.- Comment diantre! Qu'il se promène; il n'aura rien du tout.

SCAPIN.- Monsieur.

ARGANTE.- Non, c'est un impertinent.

SCAPIN.- Voulez-vous que son valet aille à pied?

ARGANTE.- Qu'il aille comme il lui plaira, et le maître aussi.

SCAPIN.- Mon Dieu, Monsieur, ne vous arrêtez point à peu de chose. N'allez point plaider, je vous prie, et donnez tout pour vous sauver des mains de la justice.

ARGANTE.- Hé bien soit, je me résous à donner encore ces trente pistoles.

SCAPIN.- "Il me faut encore, a-t-il dit, un mulet pour porter..."

ARGANTE.- Oh qu'il aille au diable avec son mulet; c'en est trop, et nous irons devant les juges.

SCAPIN.- De grâce, Monsieur...

ARGANTE.- Non, je n'en ferai rien.

SCAPIN.- Monsieur, un petit mulet.

ARGANTE.- Je ne lui donnerais pas seulement un âne.

SCAPIN.- Considérez...

ARGANTE.- Non, j'aime mieux plaider.

SCAPIN.- Eh, Monsieur, de quoi parlez-vous là, et à quoi vous résolvez-vous? Jetez les yeux sur les détours de la justice. Voyez combien d'appels et de degrés de juridiction; combien de procédures embarrassantes; combien d'animaux ravissants* par les griffes desquels il vous faudra passer, sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n'y a pas un de tous ces gens-là, qui pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. Un sergent baillera de faux exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez. Votre procureur s'entendra avec votre partie, et vous vendra à beaux deniers comptants. Votre avocat gagné de même, ne se trouvera point lorsqu'on plaidera votre cause, ou dira des raisons qui ne feront que battre la campagne, et n'iront point au fait. Le greffier délivrera par contumace* des sentences et arrêts contre vous. Le clerc du rapporteur soustraira des pièces, ou le rapporteur même ne dira pas ce qu'il a vu. Et quand par les plus grandes précautions du monde vous aurez paré tout cela, vous serez ébahi que vos juges auront été sollicités contre vous, ou par des gens dévots, ou par des femmes qu'ils aimeront. Eh, Monsieur, si vous le pouvez, sauvez-vous de cet enfer-là. C'est être damné dès ce monde, que d'avoir à plaider; et la seule pensée d'un procès serait capable de me faire fuir jusqu'aux Indes.

ARGANTE.- À combien est-ce qu'il fait monter le mulet?

SCAPIN.- Monsieur, pour le mulet, pour son cheval, et celui de son homme, pour le harnais et les pistolets, et pour payer quelque petite chose qu'il doit à son hôtesse, il demande en tout deux cents pistoles.

ARGANTE.- Deux cents pistoles?

SCAPIN.- Oui.

ARGANTE, se promenant en colère le long du théâtre.- Allons, allons, nous plaiderons.

SCAPIN.- Faites réflexion...

ARGANTE.- Je plaiderai.

SCAPIN.- Ne vous allez point jeter...

ARGANTE.- Je veux plaider.

SCAPIN.- Mais pour plaider, il vous faudra de l'argent. Il vous en faudra pour l'exploit; il vous en faudra pour le contrôle. Il vous en faudra pour la procuration, pour la présentation, conseils, productions, et journées du procureur. Il vous en faudra pour les consultations et plaidoiries des avocats; pour le droit de retirer le sac, et pour les grosses d'écritures. Il vous en faudra pour le rapport des substituts; pour les épices de conclusion; pour l'enregistrement du greffier, façon d'appointement, sentences et arrêts, contrôles, signatures, et expéditions de leurs clercs, sans parler de tous les présents qu'il vous faudra faire. Donnez cet argent-là à cet homme-ci, vous voilà hors d'affaire*.

ARGANTE.- Comment, deux cents pistoles?

SCAPIN.- Oui, vous y gagnerez. J'ai fait un petit calcul en moi-même de tous les frais de la justice; et j'ai trouvé qu'en donnant deux cents pistoles à votre homme, vous en aurez de reste pour le moins cent cinquante, sans compter les soins, les pas, et les chagrins que vous épargnerez. Quand il n'y aurait à essuyer que les sottises que disent devant tout le monde de méchants plaisants d'avocats, j'aimerais mieux donner trois cents pistoles, que de plaider.

ARGANTE.- Je me moque de cela, et je défie les avocats de rien dire de moi.

SCAPIN.- Vous ferez ce qu'il vous plaira; mais si j'étais que de vous, je fuirais les procès.

ARGANTE.- Je ne donnerai point deux cents pistoles.

SCAPIN.- Voici l'homme dont il s'agit.