L'École des maris » Acte 2 » SCÈNE III
ISABELLE, SGANARELLE. ISABELLE* J'ai peur que cet amant plein de sa passion*, 450 N'ait pas de mon avis compris l'intention;Et j'en veux dans les fers, où je suis prisonnière,Hasarder un qui parle avec plus de lumière. SGANARELLE Me voilà de retour. ISABELLE Hé bien? SGANARELLE Un plein effet A suivi tes discours, et ton homme a son fait; 455 Il me voulait nier que son cœur fût malade;Mais lorsque de ta part j'ai marqué l'ambassade,Il est resté d'abord, et muet, et confus,Et je ne pense pas qu'il y revienne plus. ISABELLE Ha! que me dites-vous, j'ai bien peur du contraire, 460 Et qu'il ne nous prépare encor plus d'une affaire. SGANARELLE Et sur quoi fondes-tu cette peur que tu dis? ISABELLE Vous n'avez pas été plus tôt hors du logis,Qu'ayant, pour prendre l'air, la tête à ma fenêtre,J'ai vu dans ce détour* un jeune homme paraître, 465 Qui d'abord de la part de cet impertinent,Est venu me donner un bonjour surprenant.Et m'a droit dans ma chambre une boîte jetée,Qui renferme une lettre en poulet cachetée*;J'ai voulu sans tarder lui rejeter le tout; 470 Mais ses pas de la rue avaient gagné le bout,Et je m'en sens le cœur tout gros de fâcherie. SGANARELLE Voyez un peu la ruse et la friponnerie. ISABELLE Il est de mon devoir de faire promptementReporter boîte et lettre, à ce maudit amant, 475 Et j'aurais pour cela besoin d'une personne;Car d'oser à vous-même... SGANARELLE Au contraire mignonne, C'est me faire mieux voir ton amour et ta foi,Et mon cœur avec joie accepte cet emploi,Tu m'obliges par là plus que je ne puis dire. ISABELLE Tenez donc. SGANARELLE 480 Bon, voyons ce qu'il a pu t'écrire. ISABELLE Ah! Ciel, gardez-vous bien de l'ouvrir. SGANARELLE Et pourquoi. ISABELLE Lui voulez-vous donner à croire que c'est moi,Une fille d'honneur doit toujours se défendreDe lire les billets qu'un homme lui fait rendre, 485 La curiosité qu'on fait lors éclater,Marque un secret plaisir de s'en ouïr conter,Et je trouve à propos, que toute cachetée,Cette lettre lui soit promptement reportée,Afin que d'autant mieux il connaisse aujourd'hui, 490 Le mépris éclatant que mon cœur fait de lui,Que ses feux désormais perdent toute espérance,Et n'entreprennent plus pareille extravagance. SGANARELLE Certes elle a raison, lorsqu'elle parle ainsi,Va ta vertu me charme, et ta prudence aussi, 495 Je vois que mes leçons ont germé dans ton âme,Et tu te montres digne enfin d'être ma femme. ISABELLE Je ne veux pas pourtant gêner votre désir,La lettre est dans vos mains, et vous pouvez l'ouvrir. SGANARELLE Non je n'ai garde! hélas, tes raisons sont trop bonnes, 500 Et je vais m'acquitter du soin que tu me donnes,À quatre pas de là dire ensuite deux mots,Et revenir ici te remettre en repos.
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