Amphitryon » Acte 1 » SCÈNE IV
CLÉANTHIS, MERCURE. Mercure veut s'en aller. CLÉANTHIS 630 Quoi! c'est ainsi que l'on me quitte? MERCURE Et comment donc? Ne veux-tu pas,Que de mon devoir je m'acquitte?Et que d'Amphitryon j'aille suivre les pas? CLÉANTHIS Mais avec cette brusquerie, 635 Traître, de moi te séparer! MERCURE Le beau sujet de fâcherie!Nous avons tant de temps ensemble à demeurer. CLÉANTHIS Mais quoi! partir ainsi d'une façon brutale,Sans me dire un seul mot de douceur pour régale*? MERCURE 640 Diantre, où veux-tu que mon espritT'aille chercher des fariboles?Quinze ans de mariage épuisent les paroles;Et depuis un long temps, nous nous sommes tout dit. CLÉANTHIS Regarde, traître, Amphitryon, 645 Vois combien, pour Alcmène, il étale de flamme,Et rougis là-dessus, du peu de passion,Que tu témoignes pour ta femme. MERCURE Hé, mon Dieu, Cléanthis, ils sont encore amants.Il est certain âge où tout passe: 650 Et ce qui leur sied bien dans ces commencements,En nous, vieux mariés, aurait mauvaise grâce.Il nous ferait beau voir attachés, face à face,À pousser les beaux sentiments! CLÉANTHIS Quoi? suis-je hors d'état, perfide, d'espérer 655 Qu'un cœur auprès de moi soupire? MERCURE Non, je n'ai garde de le dire:Mais je suis trop barbon, pour oser soupirer,Et je ferais crever de rire. CLÉANTHIS Mérites-tu, pendard, cet insigne bonheur, 660 De te voir, pour épouse, une femme d'honneur? MERCURE Mon Dieu, tu n'es que trop honnête:Ce grand honneur ne me vaut rien.Ne sois point si femme de bien;Et me romps un peu moins la tête. CLÉANTHIS 665 Comment! de trop bien vivre, on te voit me blâmer? MERCURE La douceur d'une femme est tout ce qui me charme;Et ta vertu fait un vacarme,Qui ne cesse de m'assommer. CLÉANTHIS Il te faudrait des cœurs pleins de fausses tendresses; 670 De ces femmes aux beaux et louables talents,Qui savent accabler leurs maris de caresses,Pour leur faire avaler l'usage des galants. MERCURE Ma foi, veux-tu que je te dise?Un mal d'opinion*, ne touche que les sots. 675 Et je prendrais pour ma devise,Moins d'honneur, et plus de repos. CLÉANTHIS Comment! tu souffrirais, sans nulle répugnance,Que j'aimasse un galant avec toute licence? MERCURE Oui, si je n'étais plus de tes cris rebattu; 680 Et qu'on te vît changer d'humeur et de méthode.J'aime mieux un vice commode,Qu'une fatigante vertu.Adieu, Cléanthis, ma chère âme,Il me faut suivre Amphitryon.Il s'en va. CLÉANTHIS 685 Pourquoi, pour punir cet infâme,Mon cœur n'a-t-il assez de résolution?Ah! que dans cette occasion,J'enrage d'être honnête femme!
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