L'École des maris » Acte 2 » SCÈNE VI
SGANARELLE, VALÈRE, ERGASTE. SGANARELLE Oh, Trois et quatre fois béni soit cet édit,Par qui des vêtements le luxe est interdit*; 535 Les peines des maris ne seront plus si grandes,Et les femmes auront un frein à leurs demandes.Ô que je sais au Roi bon gré de ces décri*s!Et que pour le repos de ces mêmes maris,Je voudrais bien qu'on fît de la coquetterie 540 Comme de la guipure* et de la broderie!J'ai voulu l'acheter l'édit expressément,Afin que d'Isabelle il soit lu hautement,Et ce sera tantôt, n'étant plus occupée,Le divertissement de notre après-soupée*. 545 Enverrez-vous encor, Monsieur aux blonds cheveux,Avec des boîtes d'or, des billets amoureux?Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette,Friande de l'intrigue, et tendre à la fleurette,Vous voyez de quel air on reçoit vos joyaux: 550 Croyez-moi, c'est tirer votre poudre aux moineaux;Elle est sage, elle m'aime, et votre amour l'outrage,Prenez visée ailleurs, et troussez-moi bagage. VALÈRE Oui, oui, votre mérite à qui chacun se rend,Est à mes vœux, Monsieur, un obstacle trop grand, 555 Et c'est folie à moi, dans mon ardeur fidèle,De prétendre avec vous à l'amour d'Isabelle. SGANARELLE Il est vrai, c'est folie. VALÈRE Aussi n'aurais-je pas Abandonné mon cœur à suivre ses appas,Si j'avais pu savoir que ce cœur misérable*, 560 Dût trouver un rival comme vous redoutable. SGANARELLE Je le crois. VALÈRE Je n'ai garde à présent d'espérer, Je vous cède, Monsieur, et c'est sans murmurer. SGANARELLE Vous faites bien. VALÈRE Le droit de la sorte l'ordonne; Et de tant de vertus brille votre personne, 565 Que j'aurais tort de voir d'un regard de courroux,Les tendres sentiments qu'Isabelle a pour vous. SGANARELLE Cela s'entend. VALÈRE Oui, oui, je vous quitte la place; Mais je vous prie au moins, et c'est la seule grâce,Monsieur, que vous demande un misérable amant, 570 Dont vous seul aujourd'hui causez tout le tourment.Je vous conjure donc d'assurer Isabelle,Que si depuis trois mois mon cœur brûle pour elle,Cette amour est sans tache, et n'a jamais pensé,À rien dont son honneur ait lieu d'être offensé. SGANARELLE Oui. VALÈRE 575 Que ne dépendant que du choix de mon âme*, Tous mes desseins étaient de l'obtenir pour femme,Si les destins en vous qui captivez son cœur,N'opposaient un obstacle à cette juste ardeur. SGANARELLE Fort bien. VALÈRE Que quoi qu'on fasse il ne lui faut pas croire, 580 Que jamais ses appas sortent de ma mémoire,Que quelque arrêt des Cieux, qu'il me faille subir,Mon sort est de l'aimer jusqu'au dernier soupir,Et que si quelque chose étouffe mes poursuites,C'est le juste respect que j'ai pour vos mérites. SGANARELLE 585 C'est parler sagement, et je vais de ce pasLui faire ce discours, qui ne la choque pas;Mais si vous me croyez, tâchez de faire en sorte,Que de votre cerveau cette passion sorte.Adieu. ERGASTE La dupe est bonne. SGANARELLE Il me fait grand pitié, 590 Ce pauvre malheureux trop rempli d'amitié*;Mais c'est un mal pour lui de s'être mis en tête,De vouloir prendre un fort qui se voit ma conquête*.
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