Le Misanthrope » Acte 5 » SCÈNE II
ORONTE, CÉLIMÈNE, ALCESTE. ORONTE Oui, c'est à vous, de voir, si par des nœuds si doux,Madame, vous voulez m'attacher tout à vous:Il me faut, de votre âme, une pleine assurance, 1590 Un amant, là-dessus, n'aime point qu'on balance:Si l'ardeur de mes feux a pu vous émouvoir,Vous ne devez point feindre* à me le faire voir;Et la preuve, après tout, que je vous en demande,C'est de ne plus souffrir qu'Alceste vous prétende*, 1595 De le sacrifier, Madame, à mon amour,Et, de chez vous, enfin, le bannir dès ce jour. CÉLIMÈNE Mais quel sujet si grand, contre lui, vous irrite,Vous, à qui j'ai tant vu parler de son mérite? ORONTE Madame, il ne faut point ces éclaircissements, 1600 Il s'agit de savoir quels sont vos sentiments:Choisissez, s'il vous plaît, de garder l'un, ou l'autre,Ma résolution n'attend rien que la vôtre. ALCESTE sortant du coin où il s'était retiré. Oui, Monsieur a raison; Madame, il faut choisir,Et sa demande, ici, s'accorde à mon désir; 1605 Pareille ardeur me presse, et même soin m'amène,Mon amour veut du vôtre, une marque certaine.Les choses ne sont plus pour traîner en longueur,Et voici le moment d'expliquer votre cœur. ORONTE Je ne veux point, Monsieur, d'une flamme importune, 1610 Troubler, aucunement, votre bonne fortune. ALCESTE Je ne veux point, Monsieur, jaloux, ou non jaloux,Partager de son cœur, rien du tout avec vous. ORONTE Si votre amour, au mien, lui semble préférable... ALCESTE Si du moindre penchant elle est pour vous capable... ORONTE 1615 Je jure de n'y rien prétendre désormais. ALCESTE Je jure, hautement, de ne la voir jamais. ORONTE Madame, c'est à vous, de parler sans contrainte. ALCESTE Madame, vous pouvez vous expliquer sans crainte. ORONTE Vous n'avez qu'à nous dire où s'attachent vos vœux. ALCESTE 1620 Vous n'avez qu'à trancher, et choisir de nous deux. ORONTE Quoi! sur un pareil choix, vous semblez être en peine! ALCESTE Quoi! votre âme balance, et paraît incertaine! CÉLIMÈNE Mon Dieu! que cette instance est là, hors de saison:Et que vous témoignez, tous deux, peu de raison! 1625 Je sais prendre parti sur cette préférence,Et ce n'est pas mon cœur, maintenant, qui balance:Il n'est point suspendu, sans doute*, entre vous deux,Et rien n'est si tôt fait, que le choix de nos vœux.Mais je souffre, à vrai dire, une gêne trop forte, 1630 À prononcer en face, un aveu de la sorte:Je trouve que ces mots, qui sont désobligeants,Ne se doivent point dire en présence des gens:Qu'un cœur, de son penchant, donne assez de lumière,Sans qu'on nous fasse aller, jusqu'à rompre en visière: 1635 Et qu'il suffit, enfin, que de plus doux témoins*Instruisent un amant, du malheur de ses soins. ORONTE Non, non, un franc aveu n'a rien que j'appréhende,J'y consens pour ma part. ALCESTE Et moi, je le demande; C'est son éclat, surtout, qu'ici j'ose exiger, 1640 Et je ne prétends point vous voir rien ménager.Conserver tout le monde, est votre grande étude,Mais plus d'amusement*, et plus d'incertitude;Il faut vous expliquer, nettement, là-dessus,Ou bien, pour un arrêt, je prends votre refus: 1645 Je saurai, de ma part, expliquer ce silence,Et me tiendrai pour dit, tout le mal que j'en pense. ORONTE Je vous sais fort bon gré, Monsieur, de ce courroux.Et je lui dis, ici, même chose que vous. CÉLIMÈNE Que vous me fatiguez avec un tel caprice! 1650 Ce que vous demandez, a-t-il de la justice:Et ne vous dis-je pas quel motif me retient?J'en vais prendre pour juge, Éliante qui vient.
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